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doctrine fondée sur la perception et l’induction, en corrigeant les idées de Reid sur l’induction et la perception ; c’est d’avoir soutenu avec lui la cause du sens commun contre les hérésies des systèmes, en lui prouvant qu’il n’avait pas exactement connu ni parfaitement compris les doctrines qu’il critiquait pour les remplacer. Sir William a toute la science d’un Allemand avec l’esprit positif et sensé d’un Anglais. Il est aussi défiant que Hume ou Kant en philosophie, mais la sévérité, la sobriété de sa raison, l’éloignent autant du scepticisme que de toute autre hypothèse, et c’est le doute, non l’affirmation, qui lui paraît téméraire là ou la croyance du genre humain prononce. Il discute comme un sceptique et conclut comme un dogmatique. Nous regardons que la meilleure des épreuves pour une philosophie est d’avoir passé par ses mains.

Les matérialistes, les sceptiques, les géomètres, les théologiens, ont été tour à tour ses adversaires. Il a eu affaire à toutes les sortes d’esprits absolus, il n’a plié devant personne. Il n’a mutilé par faiblesse aucune vérité, et s’il n’a pas dit sur toutes choses sa pensée entière, sur aucune chose il ne l’a affaiblie pour la faire passer. Sa liberté et sa franchise ont quelque chose de mâle qui plaît ou du moins inspire le respect, et la philosophie obtiendrait plus de crédit si elle était toujours professée avec cette fière indépendance.

Nous ne pouvons taire cependant que la doctrine de Reid et même de sir W. Hamilton n’est pas à l’abri de toute critique. Dans ce recueil, M. Ravaisson l’a peu ménagée, et son condisciple en Aristote n’a pas échappé à sa sévérité. Pour citer un exemple plus récent, une dissidence en quelque sorte domestique, voici M. Ferrier, professeur de philosophie morale à Saint-André, le gendre et l’admirateur de Wilson, qui déclare que la philosophie est l’adversaire de la psychologie. La science de l’esprit humain, dit-il, fait tout ce qui est en son pouvoir pour ratifier les affirmations irréfléchies (inadvertent deliverances) du vulgaire, et pour en prouver la justesse. Elle doit donc avoir sa part de toute correction qui porte sur la manière commune ou naturelle de penser. Or la philosophie doit renoncer à l’existence ou poursuivre cette œuvre de correction, et par conséquent traiter encore plus sévèrement la psychologie que les jugemens spontanés de l’homme incapable de réfléchir, car ceux-ci ne sont que des inadvertances ; mais ces inadvertances, la psychologie les contresigne en quelque sorte et les marque du sceau d’une fausse science. M. Ferrier a effectivement entrepris de fonder sa métaphysique sur la déduction. Dans son livre, qui rappelle Spinoza, non pour les idées, mais pour la méthode, il a compris toute la philosophie fondamentale en quarante et une propositions, dont une seule, la première, est posée comme axiome et tenue pour accordée.