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rale devait vivre toute cette spirituelle jeunesse, réduite à exhaler dans les réunions privées toutes les réflexions, toutes les aspirations généreuses qui l’animaient. Ils voyaient insultées ou persécutées les croyances auxquelles leur raison vouait par avance leur vie, ils n’apercevaient au loin aucun phare dont la pâle lueur indiquât au moins le terme de cette navigation sur un morne océan par un ciel obscur, et en effet presque tout le premier quart de ce siècle devait s’écouler avant que l’Angleterre, rendue à elle-même, fût remise sous un meilleur génie.

Heureusement ils avaient la foi, et la jeunesse a toujours l’espérance. « Jamais je n’oublierai, écrit Sydney Smith, les heureux jours passés alors au milieu d’affreuses odeurs, d’accens barbares, de mauvais soupers et des intelligences les plus éclairées et les mieux cultivées. » Ces mots nous transportent dans le quartier de l’université, à l’ouest de la vieille ville d’Edimbourg, non loin de cette Canongate qui réunit le pittoresque et la malpropreté du moyen âge. C’est au huitième ou neuvième étage d’une maison du voisinage, dans Buccleugh-Place, qu’un jour que les jeunes amis étaient réunis chez Jeffrey, Sydney Smith leur proposa de fonder une revue. Ainsi naquit la Revue d’Edimbourg (1802).

L’histoire de cet important recueil mériterait d’être écrite, et il serait difficile d’exposer complètement tout ce que la Grande-Bretagne doit à cet ouvrage d’abord, puis à quelques autres qui l’ont imité, en saines idées, en connaissances solides, en utile mouvement d’esprit. Nous tenions à rappeler seulement que ce fut la main de l’Écosse qui alluma ce flambeau. Jeffrey fut le rédacteur en chef de la revue naissante, et il y gagna la réputation du premier critique de l’Angleterre. Smith, Horner, Allen, Murray, Brougham furent les actifs collaborateurs de la fondation ; Scott lui-même écrivit quelques articles, et, malgré des dissidences graves et persévérantes, la Revue d’Édimbourg resta toujours amie de l’auteur de Waverley[1]. Les bons rapports furent tels que, même après la fondation de la Revue, Scott eut l’idée de créer une nouvelle société littéraire, le Club du Vendredi, où les jeunes rédacteurs siégèrent près de lui et d’Archibald Alison, l’auteur de l’Essai sur le Goût, d’Henri Mackensie, connu en France par d’agréables romans, de Playfair et Robison, savans qui écrivaient bien, de Malcolm Laing l’historien, de

  1. Avec le succès de la Revue, le nombre de ses rédacteurs augmenta. Il serait difficile d’en donner la liste complète. On y lirait, entre bien d’autres noms, ceux de Scott, Playfair, Malthus, Mackintosh, Coleridge, Romilly, Chalmers, Hallam, Arnold, Hazzlitt, Carlyle, Mill, Hamilton, Palgrave, Wilson et Macaulay. Walter Scott ne se sépara décidément qu’en 1808 à propos d’un article de Jeffrey sur la guerre d’Espagne. On trouve sur la société et la Revue d’Édimbourg les détails les plus intéressans dans la Vie et la Correspondance de lord Jeffrey, par lord Cockburn (1852).