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on soutient qu’au total c’est l’humanité qui a raison, on ne prend pas une attitude agressive, et l’on n’est animé que contre les prétentions de l’hypothèse et du paradoxe. La philosophie écossaise devait donc inspirer naturellement la modération. Nous disions de la poésie de Walter Scott que c’est une poésie de sens commun ; c’est un idéal un peu terre à terre, et l’imagination, loin de se perdre au-delà des nues, s’y promène dans le champ des réalités qu’elle colore et qu’elle embellit. On peut porter un jugement analogue de la philosophie de Reid : elle ne s’élève au-dessus des choses positives qu’autant qu’il le faut pour les embrasser tout entières d’un même coup d’œil. Reid pense au fond sur tout comme Platon ; mais c’est un platonisme familier, prosaïque, et qui s’ignore lui-même. C’est cette élévation confiante et modeste de la pensée qui se sent conforme à la nature, et qui ne s’en rend point maîtresse. L’autorité de l’esprit humain y est celle d’un premier magistrat, non d’un roi absolu, et la doctrine qui se préserve ainsi de toute prétention à l’arbitraire illimité doit naturellement s’unir avec une sagesse pratique qui n’a de dédain que pour les chimères des esprits aventureux. Tout en Écosse a pris l’accent du médium de la voix humaine. Toute guerre y a depuis longtemps cessé ; le sourd tonnerre d’aucune révolution future n’y gronde au loin ; aucune oppression constituée n’y accable de ses hauteurs l’humilité du droit et du vrai. Elle y est commune, elle y est facile, cette alliance tant désirée des convictions libres avec les sentimens bienveillans, de l’espérance et de la foi dans la raison avec la patience et l’équité qui savent attendre et pardonner, et la pensée forte et tranquille s’y maintient en paix dans la région sereine, où l’œil du poète a vu blanchir le faîte des temples de la science.


IV

Aussi, quand le monde commença à s’ébranler, quand la révolution d’Amérique vint préluder à la révolution française, les généreux principes qui éclatèrent alors trouvèrent-ils en Écosse intelligence et sympathie. Sans doute les paysans des hautes terres n’en furent point émus, et les humbles ministres des paroisses rustiques détournèrent à peine leurs yeux du livre sacré pour donner un regard à ces déclarations de droits qui s’annonçaient aussi pour la bonne nouvelle des nations ; mais le monde savant accueillit avec espoir ces magnifiques promesses, et se flatta un moment que le bien viendrait sans le mal, et que la liberté ne nous serait pas vendue trop cher. Ce n’est pas la faute des amis de la France en Écosse si cette attente fut déçue ; en recueillant la douloureuse leçon des événemens, bien peu se retournèrent contre eux-mêmes et firent défection