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l’Irlandais Francis Hutcheson fut appelé à la chaire de philosophie morale par l’université de Glasgow (1729). À ce cours, un cours de logique servait d’introduction, un cours de philosophie naturelle de complément. La philosophie morale comprenait trois parties : la théologie naturelle, la science de l’esprit humain et le droit naturel. Hutcheson était déjà connu par ses Recherches sur les idées de beauté et de vertu, ouvrage qui suffit pour faire apprécier ses doctrines. Par ses principes de psychologie, il diffère peu de Locke ; mais il en diffère par le tour de son esprit, et il avait emprunté à lord Shaftesbury, ce penseur ingénieux dont l’influence philosophique n’a pas été assez remarquée, le principe du désintéressement de la vertu. Presbytérien et libéral, il imprimait à toute la philosophie un caractère d’élévation et de générosité qui était le sien même. La dignité de sa personne, son élocution heureuse, donnèrent à ses leçons une grande influence, et par là surtout il fut un chef d’école. Le premier, il a employé ou du moins accrédité cette expression qui a fait une si grande fortune, le sens moral, et en constatant comme un fait de l’âme l’existence d’un principe de bienveillance gratuite pour tout ce qui est bien, il a donné un des premiers exemples de la méthode qui fonde sur l’expérience interne l’existence des principes de la nature humaine, et sur leur existence leur autorité. Cette méthode, qui dérive en quelque sorte le droit du fait, est déjà la méthode écossaise, et elle est, sous beaucoup de rapports, une application des maximes de Bacon à la science métaphysique. Seulement rien n’est rigoureux ni profond dans les ouvrages de Hutcheson, et c’est un écrivain beaucoup plus propre à éveiller les esprits qu’à les guider. Il invite à penser plutôt qu’il ne satisfait la raison.

C’est à son nom, c’est en partie à son influence que les meilleurs juges rattachent le réveil intellectuel de l’Écosse. Vers le milieu du dernier siècle, trois hommes d’un mérite fort différent se montrèrent presqu’en même temps, et illustrèrent sur le continent ce pays presque oublié. Le lecteur nomme Robertson, Hume et Smith.

Le premier, dont la réputation a baissé peut-être, s’est distingué par des ouvrages et non par des doctrines. Il n’a point eu de disciples comme les deux autres, et n’a donné que des exemples. C’était un ministre de paroisse, un prédicateur comme presque tous les littérateurs écossais, et son esprit sage et persuasif, son jugement pratique, son talent de discussion, lui firent jouer un rôle important dans les assemblées qui gouvernent l’église presbytérienne. Lié intimement avec Hume, aidé et conseillé par lui dans ses travaux, il publia son histoire d’Écosse en 1759, et à partir de ce moment jusqu’en 1780, époque où il se retira de la vie active, il occupa le public par d’excellens écrits, dont le plus célèbre et le plus éminent est son histoire de Charles-Quint. Il prit une part importante aux