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de le créer. Que l’on ne juge pas de ce que deviendront les hommes sous l’empire du droit par ce qu’ils sont sous l’empire presque exclusif de l’injustice. Je ne voudrais pas même désespérer des plus endurcis. Otez-leur le pouvoir de mal faire, ils finiront par ne plus le vouloir.

Le consentement unanime ; l’abolition de l’esclavage ne marque-t-il pas déjà un désir de progrès ? Il est donc possible de ramener à l’équité ceux-là mêmes que l’on disait changés en pierres. Donnez-leur une patrie, vous verrez quel miracle cette idée seule peut accomplir chez eux. Armez-vous tant que vous voudrez contre les classes, il faudra bien pourtant chercher dans les individus le germe de la renaissance politique et morale ; car c’est de notre temps une espérance, il me semble, assez vide que de trouver un système, une pierre philosophale qui dispense l’homme de toute probité, et qui établisse la justice publique sans que personne ait besoin d’être juste.

IX. — conclusion.

J’ai montré que les Roumains ont une tradition, une langue, une histoire, une religion, un droit public et privé, c’est-à-dire tout ce qui a constitué jusqu’ici les élémens de la vie nationale. J’ai signalé les trois causes qui se sont opposées au plein développement de cet état : premièrement la nature, quand ils se sont séparés de leur souche et du boulevard choisi à l’origine même des colonies ; secondement l’opposition, la haine des nations chrétiennes, représentées par la Pologne, la Hongrie et l’empire d’Allemagne ; troisièmement leur religion, qui les a tenus isolés des nations latines avec lesquelles était leur alliance naturelle. Et, si l’on veut bien y réfléchir, on verra que de ces trois causes il n’en est pas une qui n’ait été profondément modifiée par le temps. En ce qui touche la première, personne ne niera que les Roumains de Transylvanie ne reconnaissent aujourd’hui des frères dans les Roumains de Valachie et de Moldavie, et qu’il serait sinon impossible, au moins difficile de les pousser à s’égorger mutuellement sur leurs anciens champs de bataille de Ploiesti, de Tugureni, d’Alba-Julia. Quant à l’opposition des nations chrétiennes, il est bien vrai que la Russie et l’Autriche remplacent aujourd’hui la Pologne et la Hongrie dans un esprit semblable, mais il est vrai également que d’autres peuples regardent les mêmes choses avec des yeux bien différens, ce qui n’existait pas au XVIe siècle, où tout le monde s’est trouvé d’accord pour écraser un empire naissant et y a travaillé sans y parvenir tout à fait. Si l’on pouvait interroger aujourd’hui la Pologne et la Hongrie, il est à peu près certain que