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et l’Humanité. L’auteur ne dissimule point l’immensité de son dessein ; il veut faire revivre les grandes ères de l’humanité, raconter les époques biblique, grecque, romaine, chrétienne, le moyen âge et les temps modernes, montrer Dieu accompagnant perpétuellement l’homme pour l’aider à combattre le mal, pour le diriger dans la voie de la vérité, de la justice, de la liberté et de la civilisation. C’est la lutte du Tout-Puissant et de Satan décrite dans une œuvre où se mêleront l’élément lyrique, l’élément dramatique, l’élément épique. Il est plus facile, ce semble, de tracer ce programme que de le remplir. Les essais nouveaux de M. Prati ont eu leurs apologistes en Italie, et ils ont eu aussi leurs détracteurs ou leurs juges sévères, chose nouvelle pour un poète dont les vers étaient environnés jusqu’ici d’une popularité universelle. Ils ont été d’autant plus contestés, que l’auteur, en se posant comme l’interprète d’une philosophie catholique, assez vague il est vrai, venait se mêler, sous une autre forme, à toutes les querelles des partis et des opinions. Or, indépendamment de la valeur philosophique des idées du poète, il y a ici un bien autre problème : de telles entreprises sont-elles dans la nature du talent de M. Prati ? Quelque réel que soit le mérite de l’auteur de Satan et les Grâces, quelque généreuse que puisse être dans son principe la pensée qui a dicté ses récentes tentatives, M. Prati n’est point évidemment de cette race de poètes qui embrassent l’horizon intellectuel dans son immensité, qui parviennent à rassembler tous les élémens d’une vaste épopée philosophique. Ses derniers essais ne semblent prouver qu’une chose, c’est qu’il a senti le besoin de chercher à exprimer, lui aussi, une idée, comme il y a la pensée religieuse chez Manzoni, la pensée fataliste chez Leopardi, la pensée purement patriotique chez Niccolini.

Le dernier mot des tentatives épiques de M. Prati n’est point dit encore sans doute ; mais l’originalité, par conséquent l’aptitude réelle de son talent, est facile à saisir dans une carrière qu’on pourrait presque dire privilégiée. Il est peu d’hommes parvenus avec moins de peine à la renommée. La nature a mis un soin extrême à lui frayer la route, à écarter de son chemin les obstacles qui rendent souvent si difficile le début d’un jeune talent. En mère dévouée, après avoir doué cet esprit des qualités les plus propres à rendre toutes les sensations intérieures, elle a choisi son nid pour ainsi dire. C’est sur les Alpes qui séparent la souriante Italie de la rêveuse Allemagne qu’elle plaça le berceau de l’auteur d’Edmenegarda. Dans ces douces années de l’enfance qu’il rappelle si souvent dans ses vers, le poète a pu admirer les tableaux qu’offrait à ses yeux une nature luxuriante ; il a pu aussi pénétrer dans les ruines des vieux châteaux allemands, dont il entendait pendant les nuits d’hiver raconter les légendes. Lorsqu’il exprime toutes les impressions d’une enfance qui s’est développée en plein air, face à face avec les plus belles œuvres de la création, M. Prati est vraiment lui-même. Il est encore dans la vérité de son talent quand il chante les vicissitudes de l’Italie, lorsqu’il reproduit les mystérieuses douleurs de l’homme, ou qu’il raconte les scènes fantastiques des Ballate. Son esprit a la flexibilité, la grâce d’un Métastase, pourvu qu’on y ajoute la vibration de l’instinct national en certaines heures. En attendant que M. Prati ait réalisé ses entreprises épiques, c’est une part suffisante. D’ailleurs, quand l’auteur d’Edmenegarda ne serait