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REVUE. — CHRONIQUE.

menacé de ton fusil, et je crois même que tu es allé jusqu’à me dire….. lâche !

« — Je suis un pauvre soldat qui pense fort peu et qui n’y voit pas clair du tout. Ces fripons m’ont donné, je m’en aperçois maintenant, un bien triste credo, que j’ai répété jusqu’ici en vrai perroquet, sans y prendre garde et sans y voir de mal…..

«….. Mais, majesté, si Dieu le veut, le canon ira bien encore au-delà du Tessin. — Trêve aux vains mots ! la jactance sied bien mal au vaincu. Écoute-moi cependant. Si un jour, pour nous laver du double outrage, nous surgissons tous, depuis la mer jusqu’aux Alpes, en peuples véritables et non en taupes aveugles,

« Le vieux Philibert alors saura voler au milieu des cohortes avec Victor et ses preux, avec Fernand et avec Umbert. Je plongerai dans l’Isonzo vaincu ces rênes de bronze, et à défaut de cette épée, que je viens de briser, avec des sanglots de rage,

« Dans cette lutte suprême. Dieu lui-même me fera don à moi, son fidèle, de la sombre épée de l’archange Michel. Le nouveau Lucifer qui empoisonne la fleur du monde sera pour toujours chassé de l’Eden d’Italie.

« Ô cheval de mes gloires, tu ressens ta vieille ardeur. Tu flaires dans le vent l’odeur d’une victoire. Arrête-toi, laisse retomber ta crinière. Étouffe tes hennissemens. Les personnes qui nous entourent, toutes depuis l’enfant jusqu’à l’aïeul, sont maintenant en proie au sommeil.

« Mais si l’Italie ne sait pas, en dix ans, arracher le bandeau qui couvre ses yeux amollis et paresseux, qu’un hurlement sorte de ta poitrine. Que le fer et le feu descendent dans son sein et qu’ils la consument ! Que l’ouragan et l’avalanche se précipitent sur elle, et qu’il n’en reste pas un seul souvenir ! — Majesté, nous sommes d’accord. »

Ce n’est point une certaine originalité vigoureuse, familière, et même parfois presque brutale, qui manque à ces vers, fils d’un moment de passion et lancés au milieu de la mêlée des partis. On voit quel sentiment l’auteur des Canti portait dans la politique de son pays, et en comparant ces derniers chants à ceux par lesquels il débutait, on peut voir aussi le talent de M. Prati se révéler sous ses divers aspects. Dans la première partie de sa vie, c’est un lyrique émouvant, harmonieux, tout personnel, qui semble ne se point douter qu’il y ait au monde des écoles eu lutte, des nations qui souffrent, des dogmes qui se livrent un éternel combat. Dans la seconde période, le poète sent frémir en lui l’ardeur des émotions nationales, et sous ce rapport il se rattache à la tradition de la pensée italienne.

Depuis quelque temps cependant, on dirait que cette double voie ne suffit plus à M. Prati, et que l’auteur d’Edmenegarda s’est mis à la poursuite d’une transformation nouvelle, d’un idéal philosophique. On l’a remarqué, le livre de Storia e Fantasia témoignait déjà de ces tendances, qui n’ont fait que s’accuser de plus en plus dans ces dernières années. Dans un court intervalle, M. Prati a multiplié en effet les tentatives en ce sens. À cette évolution de son esprit se rattachent les poèmes assez récens encore de Rodolfo, la Bataille d’Imera, Satan et les Grâces, et le poète même ne vise à rien moins qu’à composer une vaste épopée sous ce titre grandiose : Dieu