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pour que le roi Charles-Albert, qui semblait épier depuis longtemps l’apparition d’un Tyrtée, fît inviter l’écrivain à composer un chant guerrier pour une fanfare militaire. Le poète répondit avec empressement aux désirs du souverain piémontais, et même la pensée de l’hymne était assez claire, assez agressive pour que la diplomatie s’en mêlât. On ne parla plus de la fanfare ni du chant belliqueux, et l’auteur n’a livré son morceau à la publicité qu’après les événemens de 1848. C’est par ce fait que M. Prati commence à se mêler en quelque sorte à la politique. Le roi piémontais, qui nourrissait depuis longtemps ses projets d’indépendance, saisissant toute la valeur de la popularité du chantre d’Edmenegarda, l’avait pris par la main pour l’introduire dans cette voie où l’Italie tout entière allait se précipiter.

Rien jusque-là, il faut le dire, n’avait semblé préparer M. Prati à ce nouveau rôle ; mais le poète, après des compositions nombreuses, arrivait déjà à la maturité du talent, à cette heure où l’esprit sent le besoin d’aspirer à des conceptions plus sérieuses, de se mêler à la vie active et universelle. Le livre de Storia e Fantasia et les Canti politici sont les fruits principaux de cette période de la carrière poétique de M. Prati. Dans le premier de ces ouvrages, l’auteur a visiblement des prétentions philosophiques, il se livre même à des interprétations du catholicisme qui lui ont suscité quelques démêlés fort peu littéraires avec Rome. Quant aux Canti politici, — Chants politiques, — ils sont le vivant témoignage d’une époque qui est déjà loin de nous, et où le poète n’est pas sans avoir eu sa part active. Emprisonné à Padoue par la police de l’Autriche à la veille de la révolution italienne, il était persécuté bientôt à Venise et à Florence par la révolution triomphante, et c’est ce qui donne un cachet de sincérité indépendante aux sentimens de fidélité qu’il a voués à la maison de Savoie. Nés avec les circonstances, à mesure que les événemens se succédaient, et récueillis depuis seulement, les Canti politici sont certainement l’œuvre d’imagination qui reproduit avec le plus de vivacité et d’animation le mouvement italien de 1848.

Tous ces chants divers, l’Hymne à l’Italie, le 8 Février 1848 à Padoue, Nous et les Étrangers, Pie IX, Charles-Albert, ramènent invinciblement à ces temps d’illusions et d’espérances. Un souffle prophétique passe à travers cette poésie. Les soulèvemens populaires ne peuvent longtemps se faire attendre. On sent qu’aux aspirations vont bientôt succéder les faits. L’idée de l’indépendance se dégage enfin, et le mouvement éclate d’un bout à l’autre de la péninsule. Le poète entonne alors son Cantique de l’Avenir, l’hymne Apres la Bataille de Goïto, celui qui a pour titre Chassons l’étranger. Dans ce siècle, où les événemens se succèdent avec une si étonnante rapidité, où les impressions sont si fugitives, il est peu de personnes qui se rappellent d’une manière précise la sensation que produisaient de toutes parts les premières victoires de Charles-Albert. Les Canti politici font revivre dans ce temps. Ce sont bien là les cris de victoire et de joie, les chants de triomphe et la foi aux destinées nationales qui éclataient autour de nous.

On trouve dans ces pages les traces de ce besoin de croire à l’union de tous les Italiens, à la concorde des esprits, — besoin qui était dans toutes les âmes. On pressentait que le danger était là, et M. Prati, fidèle à sa mission de vates, menaçait du haut de son trépied celui qui réveillerait les discordes, qui refuserait de suivre le drapeau du roi de Sardaigne. Le poète avait rai-