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M. Villemain ne fait qu’exprimer la pensée de tous les esprits justes qui ont blâmé la politique de la Grèce dans la crise actuelle, qui ont regardé comme un devoir de l’Occident d’arrêter la nation hellénique sur la pente redoutable où elle s’était engagée, mais qui ne considèrent pas moins comme un des grands faits de notre siècle le réveil du peuple grec, ce réveil qui faisait reparaître tout à coup à l’horizon comme une image, rajeunie par l’héroïsme, de cette civilisation grecque, mère de toutes les civilisations, La poésie et l’érudition aujourd’hui, on le sait bien, ne couvrent plus de leur prestige le peuple grec ; on est plus sévère à son égard, on lui demande autre chose que les noms de Thémistocle et de Miltiade. Soit, ce n’est point le desservir que de l’appeler à une vie plus sérieuse et plus réglée, à la condition de tempérer au besoin les critiques par le souvenir des malheurs de la race hellénique et de ce qu’elle a fait pour s’affranchir.

La politique ne se résume pas toujours dans les intérêts généraux et abstraits des peuples. Il est parfois de ces incidens tragiques et tout personnels qui viennent saisir l’imagination d’une façon imprévue. L’un de ces incidens vient d’émouvoir la Prusse et la ville de Berlin. M. de Hinkeldey, directeur de la police générale du royaume, a été tué en duel par M. de Rochow, l’un des plus jeunes membres de la chambre des seigneurs. Les circonstances dans lesquelles le fait s’est produit lui donnent surtout un degré singulier de gravité. Pour comprendre cette gravité, il faut se rappeler que M. de Hinkeldey était un personnage éminent, un homme d’un mérite supérieur, ayant une place parmi les plus hauts dignitaires de l’état. Il ne faut point oublier en outre la lutte sourde, mais continue, engagée depuis plusieurs années entre les fonctionnaires administratifs, représentans et gardiens de la loi, et cette singulière aristocratie de hobereaux qui veut se mettre à tout prix au-dessus de la loi. M. de Hinkeldey, qui avait courageusement combattu et vaincu la démagogie dans les crises révolutionnaires de 1848, combattait non moins énergiquement le parti des hobereaux ; il le forçait de se soumettre à la loi ; il surveillait sévèrement ses réunions de plaisirs. De là des haines profondes, des ressentimens redoutables. Le directeur général de la police était devenu le point de mire de toutes les aversions de ce parti ; de là aussi est né ce fatal duel. Quelle a été la cause directe de cette rencontre ? Il y a eu des versions diverses. M. de Hinkeldey aurait été violemment provoqué ; il a donné sa démission, il s’est battu, et il est mort. M. de Rochow a été arrêté, par ordre de M. Noerner, procureur du roi (Staats anwalt). Quelques heures après, le président de la chambre des seigneurs, le prince de Hohenlohe, est venu le réclamer, prétendant qu’un membre de la chambre haute ne pouvait être jugé que par ses pairs. Le magistrat a répondu qu’il y avait exception à cette règle en cas d’homicide, et que l’accusé appartenait à la justice ordinaire. On affirme qu’il y a eu une scène assez vive entre M. Noerner et le prince de Hohenlohe. M. de Rochow est resté en prison. Au reste, ce qui résultera judiciairement d’une telle affaire est évidemment ici hors de question. Ce qu’il y a de grave dans cet événement, c’est qu’il jette un jour subit sur l’état des partis et sur le violent antagonisme qui divise la Prusse. La fin tragique de M. de Hinkeldey a causé dans Berlin une émotion profonde, telle qu’on n’avait point vu, dit-