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dues. Il eût évité encore de faire devant l’Académie l’apologie de la collaboration en matière de littérature. M. Legouvé voit presque dans la collaboration le grand ressort de la domination de l’esprit français. Une comédie à deux, c’est ce qu’il appelle de la sociabilité en cinq actes. Il n’est point certain que le paradoxe soit même spirituel, et peut-être ce genre d’industrie, que l’auteur appelle de la sociabilité en cinq actes, est-il de nature à profiter à la caisse des auteurs dramatiques encore plus qu’au génie de la France, qui doit assurément à d’autres causes son ascendant universel. Ce n’est pas tout encore cependant. L’Académie a eu par la même occasion à entendre une théorie discrètement développée sur l’amélioration progressive de la condition des femmes et sur ce que le nouvel élu appelle la famille moderne. Hélas ! il y a dans notre temps une foule d’idées qui courent le monde et qui sont comme la pierre de touche des esprits. En présence de ces idées, les esprits justes passent indifférens, les esprits chimériques s’arrêtent et se laissent subjuguer, et bientôt pour toute nouveauté ils se trouvent avoir recueilli dans des amplifications sentimentales et vaguement poétiques quelque chose de ces utopies errantes sur l’émancipation et les droits des femmes, sur l’égalité des sexes et la liberté dans la famille. Ainsi fait un peu M. Legouvé, espérant avoir, lui aussi sans doute, son Mérite des Femmes, et trouver la popularité dans ce monde impressionnable et charmant que flatta son père, et qui plus d’une fois a donné le succès.

Maintenant voilà M. Legouvé rangé définitivement parmi les immortels. Quelle force, quel lustre donne-t-il à l’Académie ? Il y représentera du moins la collaboration en matière d’art littéraire et l’émancipation morale des femmes. L’Académie, on n’en peut douter, se trouve souvent dans un embarras extrême, qui explique peut-être la singularité de ses choix. Si elle recherche la dignité sociale unie à l’intelligence, on raille ses faiblesses aristocratiques. Si elle fait appel à l’éloquence, si elle admet dans son sein des hommes d’état, on lui dit qu’elle entre dans cette région interdite de la politique. Si elle se tourne vers les lettres, elle est plus d’une fois saisie elle-même d’incertitudes d’une autre nature, en songeant que dans cette vie le talent n’est pas tout, que le caractère doit être uni au talent. Voilà bien des causes d’hésitation et de trouble, et l’Académie finit par échapper à son embarras en se réfugiant dans les combinaisons les plus imprévues. Un peu pressée par les circonstances, elle invoquera le nom honorable, mais assez peu littéraire de quelque savant, comme elle a fait un jour avec M. Flourens lui-même. Si elle a plusieurs élections à faire, elle aura les candidatures de son choix, les élus de sa préférence, qu’elle fera prévaloir ou accepter à l’aide d’autres candidatures savamment calculées. On ne comprend pas toujours tous ces calculs, et c’est sans doute la faute de ceux qui n’en connaissent pas le secret. Ne serait-il pas plus simple cependant d’écarter toutes ces considérations étrangères et ces combinaisons évasives, pour consulter uniquement l’intérêt des lettres, pour appeler au sein de l’Académie les talens qui se révèlent, les hommes qui ont marqué ou qui marquent encore par les distinctions de l’intelligence et de l’imagination ? C’est là en définitive, pour la vieille assemblée de Richelieu, le meilleur moyen de maintenir son ascendant, sa dignité, son caractère, qui est de représenter l’esprit