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à chaque règne ? Les plus grands noms, les plus anciens, il faudrait aller les chercher sous le chaume. Où sont les nobles d’Alexandre le Bon, d’Étienne le Grand ? Quasi dans le servage. On sait sous quelle cabane habitent aujourd’hui les dynasties de Mircea le Valaque et de Movila le Moldave. Laisserez-vous de côté ces grands noms historiques ? Que représente alors votre chambre héréditaire ? Les prendrez-vous ? C’est donc à la charrue que vous irez chercher vos pairs ? Je le veux bien ; mais est-ce là votre pensée ? De toutes parts les impossibilités surgissent. La hiérarchie de la noblesse actuelle ne représentant en rien le passé national, si vous posez vos premières assises sur ce sable mouvant, vous ferez comme celui qui essaya de bâtir son temple sur des abîmes toujours ouverts. Il en vit sortir des flammes.

Que faire donc dans un sol où la glèbe sociale a été tant de fois renversée, où les plus nobles, les plus anciens, sont pour ainsi dire cachés sous un détritus grec, byzantin, musulman ? Que faire ? Ne pas s’arrêter à l’apparence, à la surface, à l’étiquette ; chercher plus profondément les sources de la vie nationale, former de tout ce qui possède une seule masse, un seul corps, représenté selon l’ancien usage par une même assemblée. Et dès-lors sur quelle base asseoir les institutions ? Je viens de le dire. Sur la terre, rendue de plus en plus accessible à tous dans un pays si évidemment agricole.

Mais qui marquera la part exacte du droit en litige ? Première question qui se présente dans un pays où tout est incertain. Pour donner une constitution politique à la Moldo-Valachie, il faudrait que sa constitution sociale fût réglée, et pour asseoir la constitution sociale, il faudrait que la constitution politique existât au préalable.

Comme dans tous les problèmes de ce genre, ainsi posés, il y a trois solutions : premièrement l’utopie, qui n’est qu’un moyen d’ajourner indéfiniment la question, en ayant l’air de la résoudre ; secondement l’épée, qui tranche le nœud gordien par les révolutions ; troisièmement, si l’on ne croit pas aux utopies et si l’on ne veut pas de révolutions, il reste, à partir de l’état des choses subsistantes, à l’accepter, comme s’il était légitime, sauf à l’améliorer par le travail du temps. Dans ce troisième système, qui, je l’avoue, me semble le seul applicable, si l’on prend pour base l’état actuel de la propriété, on donne en résultat le pouvoir législatif à la seconde classe de la noblesse, dans laquelle il est aisé de faire entrer tous ceux que la propriété, l’intelligence, la fortune, l’industrie naissante, ont émancipés. Ce serait comme une issue ouverte au corps entier de la nation, à mesure qu’il se formerait, car ce que l’on peut faire dans l’état encore embryonnaire où est la nation roumaine, c’est de tracer les grandes lignes d’un premier plan que viendra remplir la société