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d’une main à la Russie ce qu’elle lui dispute de l’autre, et que cette affaire a pour elle le double inconvénient de faire croire tout ensemble à sa vénalité et à son incapacité ?

De ce qui précède, je ne veux tirer que cette conclusion : partout les bras manquent au sol. C’est donc le contraire de ce qui arrive chez nous, où le plus souvent c’est le travail qui manque à l’ouvrier : par où l’on voit que la difficulté la plus grande de nos sociétés occidentales a une solution préparée dans ces provinces. Il ne s’agit pas de créer des systèmes qui réparent l’insuffisance du sol. Le champ est là, il n’est stérile et désert que faute des plus simples moyens éprouvés ailleurs par la société moderne ; car qui serait assez insensé pour aller chercher aujourd’hui l’oppression et presque l’esclavage en Moldavie, en Valachie, lorsque tant de territoires déserts appellent ailleurs l’homme en lui offrant la liberté et la sécurité ? Avec d’immenses terres en friche, le législateur serait donc bien malheureux, s’il ne trouvait le moyen d’y asseoir sans dommages pour personne une population croissante et prospère. Mais quel sera ce législateur ? Il est temps de le chercher.

VIII. — organisation politique.

Il n’y a pas de tiers-état en Moldavie et en Valachie, si vous entendez par là une classe intermédiaire nombreuse, qui vive d’une profession industrielle. À la première vue, c’est, il semble, une grande difficulté pour faire sortir cette société de la forme byzantine et y introduire des institutions nouvelles ; peut-être qu’en y regardant de plus près on verra que cette difficulté n’est pas sans remède.

Tout le monde conviendra qu’appliquer, par exemple, la constitution anglaise à la Moldo-Valachie, former de la grande boyarie un ordre politique, une pairie héréditaire, serait consacrer, éterniser les plus monstrueux abus que l’on veut abolir. Le plus souvent vous établiriez vos fondemens sur l’étranger, à l’exclusion du Roumain. Voilà l’héritage séculaire du despotisme. Rien de consistant, de régulier, n’a pu se former à son ombre. Tous ses appuis sont ruineux ; à peine vous les touchez, ils s’écroulent. Point de famille véritablement historique, si ce n’est peut-être dans la poussière. Point de services éclatans à récompenser là où il n’y avait que le plaisir du prince. Dès-lors que pourriez-vous établir de solide ou du moins de sensé sur une hiérarchie artificielle, laquelle représente non pas des traditions, non pas l’histoire nationale, mais un échafaudage de charges byzantines, auquel s’est ajouté l’échafaudage des titres musulmans et russes, tout cela mobile, incertain, capricieux, perpétuellement bouleversé ; ruine vivante, qui se déplace, s’altère