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une pension de retraite de 100,000 francs, mais cette pension est réversible sur la tête de deux générations. Il est d’usage aussi de récompenser par des dons nationaux les grands services militaires; il en a été ainsi pour Marlborough, Nelson, Wellington, et pour plusieurs généraux qui avaient fait la guerre dans l’Inde et ont été appelés dans la chambre des lords. On se trouvait donc dans cette alternative, ou de créer des pairs avec des pensions, ou de créer des pairs trop pauvres pour soutenir leur rang.

Ce fut alors que le gouvernement eut recours à l’expédient de créer une pairie viagère, et sir James Parke fut fait lord Wensleydale pour sa vie durant. L’intention d’établir un précédent était d’autant plus claire que le nouveau lord n’avait pas de fils et n’était plus d’âge à en avoir, et que par conséquent on aurait pu lui donner une pairie héréditaire avec le même résultat. Il était donc permis de croire que cet acte de la prérogative royale n’était qu’un premier pas dans une voie nouvelle, que le précédent, une fois établi pour des circonstances exceptionnelles et justifiables, pourrait être détourné de son origine et converti en une arme dangereuse pour la constitution, et que cette faculté de créer un nombre indéterminé de pairs et de modifier les majorités dans une des branches de la législature pourrait devenir, entre les mains de ministres corrompus, un instrument de despotisme et de faction. La pairie héréditaire se prépara à la résistance.

Dès le premier jour de la session et dans la discussion de l’adresse, le chef de l’opposition dans la chambre posa nettement la question de prérogative : « Je ne terminerai pas, dit lord Derby, sans dire quelques mots d’un sujet qui est de la plus haute importance constitutionnelle. Nous avons appris que S. M. avait reçu le conseil de conférer la pairie à une personne éminente, mais en donnant à cette pairie le caractère viager. Comme cette personne n’a point de fils et vraisemblablement n’est point destinée à en avoir, cette innovation ne peut avoir d’autre but que de faire un essai de la prérogative royale. Or, sans entrer ici dans la question constitutionnelle, je dirai qu’il y a trois ou quatre cents ans que la prérogative royale n’a été exercée dans ce sens, et que ses plus ardens soutiens n’ont jamais songé, dans cet intervalle, à en conseiller un pareil exercice... J’espère que ce n’est pas moi qui serai chargé de soulever cette question, et que cette tâche sera confiée à des hommes plus versés que moi dans la science du droit constitutionnel, d’autant qu’il importe que dans de pareilles circonstances la discussion soit exempte de tout soupçon d’esprit de parti... »

On savait en effet que l’initiative de la discussion serait prise par les légistes de la chambre des lords. Un fait curieux et qui prouverait au besoin avec quelle facilité s’acquiert l’esprit de corps, c’est que dans cette affaire ceux qui se sont montrés les plus jaloux des privilèges de la pairie ne sont pas les nobles d’ancienne date et ceux qui avaient hérité de leurs titres à travers une longue suite d’aïeux, mais bien les derniers venus, les pairs de création contemporaine, en un mot les parvenus. On comprend bien que