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constamment unies avec la royauté contre la féodalité et la noblesse, il n’y a ni culte ni respect pour l’aristocratie, qui elle-même n’y est plus qu’un mythe. En Angleterre, l’aristocratie est historiquement associée à la conquête de toutes les libertés nationales; ce sont les barons qui, au XIIIe siècle, ont arraché au roi Jean la grande charte, cette fontaine et cette origine de la constitution, et au XVIIe siècle, à la dernière révolution, ce sont aussi les nobles qui ont assuré le triomphe de la religion protestante, ce palladium de la nationalité anglaise. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui encore, en Angleterre, l’aristocratie est si fortement enracinée, même dans l’esprit populaire; elle fait partie de la constitution, elle est un élément historique, elle est un établissement national.

Nous voyons que dans les débats du parlement on a plusieurs fois représenté l’abolition de l’hérédité de la pairie comme la cause principale de la décadence et de la chute de l’aristocratie française. Toutefois, et quoi qu’en aient pu dire les plus grands écrivains et orateurs monarchiques à l’époque où ce changement s’accomplit, on peut affirmer que l’institution aristocratique en France était déjà perdue quand on lui enleva le principe héréditaire, et qu’elle avait été mortellement atteinte quand le droit d’ainesse avait été aboli. Avec le partage égal des biens et la division infinie des fortunes, que serait devenue une pairie héréditaire à la seconde génération? Cela est si vrai que la cause première, la cause véritable de cette création d’une pairie viagère qui vient de mettre aux prises en Angleterre la couronne et les lords, a été la question d’argent. Le nouveau pair nommé par la reine, pour sa vie durant, était sir James Parke, le chef d’une des grandes cours du royaume. Sa nomination avait pour but de renforcer dans la chambre des lords l’élément judiciaire, dont l’insuffisance était notoire. Des adjonctions de ce genre étaient réclamées depuis longtemps; mais comme il y a rarement des juges ou des légistes ayant leur fortune faite et assez riches pour fonder des majorais et les transmettre à leurs enfans, le cercle des nominations se trouvait assez restreint. Le gouvernement avait cru trouver une solution à cette difficulté en conférant à des juges une pairie sans titre héréditaire, et c’est de là qu’est née toute cette controverse.

La chambre des lords est non-seulement un des corps politiques du royaume, elle en est aussi la plus haute cour judiciaire, la cour d’appel. Cette situation constitue une de ces anomalies comme on ne peut en rencontrer qu’en Angleterre. Il y a plusieurs siècles, et à peu près jusqu’à l’époque de la restauration de Charles II, la couronne appelait les principaux juges du royaume à siéger comme comité consultant de la chambre des lords, et ce comité rendait des décisions qui étaient ensuite promulguées au nom de la chambre elle-même. Peu à peu cette coutume tomba en désuétude, les juges cessèrent d’être convoqués; cependant la chambre des lords retint sa juridiction, et resta cour suprême d’appel. Théoriquement, chaque pair, même le plus étranger à la connaissance de la loi, est membre de cette cour,