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Quel pieux voyageur aux campagnes latines
N’est venu lentement errer dans tes ruines ?
Ou de loin, sous les pins d’une sombre villa,
N’a salué la tour blanche de Métella ?
Moi-même j’ai souvent rêvé sous tes décombres ;
Mais mon pied attentif n’y troubla point les ombres.
Plus d’un pâtre m’a vu dans l’herbe agenouillé ;
Mon bâton n’a jamais sous les marbres fouillé.
Aux curieux malheur, et malheur aux avares,
Cent fois plus que les Huns, les Vandales barbares !
Les morts ne peuvent plus sommeiller en repos ;
On disperse leur cendre, on emporte leurs os.
Les ornemens sacrés des chambres sépulcrales.
Leurs lampes, leurs trépieds, les urnes lacrymales,
Vont se suspendre aux murs de grossiers amateurs.
Les héros sont en proie à des profanateurs.
Rome fait un musée avec ses catacombes.
Même mon vieux pays perd le respect des tombes :
Des nains sous les men-hîr volent, guerriers d’Arvor,
Vos haches de silex et vos bracelets d’or!

II.



Ces crimes sont anciens. Quand, pontife suprême,
Sixte-Quatre portait le triple diadème.
Dans la nuit, un savant du collége romain
Suivait, noble Appius, ton antique chemin.
Deux serviteurs, vêtus comme lui d’une robe
Dont l’immense capuce aux regards les dérobe,
L’escortaient. Arrivé non loin de Métella,
Le vieillard s’arrêtant dit aux jeunes : « C’est là ! »
Et leurs pieux, leurs leviers brisèrent avec rage
Le dur ciment romain encor durci par l’âge.
Un marbre se leva sous leurs triples efforts.
Eux, comme des larrons, dans ce palais des morts
D’entrer!... Sous la lueur d’une lampe d’opale
Une femme dormait calme, élégante et pâle.
Des roses à la main et souriante encor,
Et ses longs cheveux noirs ornés d’un réseau d’or.
Sur la couche d’ivoire artistement polie
Étaient gravés ces mots : A ma fille Tullie.
Le vieillard défaillit à ce glorieux nom :
« Fille de Tullius ! amour de Cicéron ! »