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étaient des enfans dans les sciences, nous en remontreraient en fait de sagesse.

Il y a un autre ordre de sciences, moins présomptueuses que les sciences physiques et mathématiques, mais qui ne se font point faute non plus de parler avec quelque ironie des nuages de la métaphysique et des naïvetés de la morale : ce sont les sciences économiques, telles du moins que les conçoivent des adeptes mal pénétrés de leur vraie mission. Les physiciens et les économistes se sont disputé la faveur de notre temps. Ils répétaient à l’envi aux hommes qu’ils allaient faire leur bonheur. On les a pris au mot : rendez-nous riches, rendez-nous heureux, s’est-on écrié de toutes parts. La science n’aura bientôt plus le temps de chercher, de peser, de calculer, et par conséquent de découvrir : il lui faut sans cesse inventer. Tant qu’elle ne s’était occupée que de chercher la vérité, elle avait été entourée d’un lointain respect : quand on vit qu’elle rendait riche, on se mit à genoux. D’un autre côté, les conquêtes extraordinaires de l’industrie propageaient une sorte d’idolâtrie nouvelle qui unissait dans son culte le fer et l’or, l’eau et le feu. Notre siècle a vu des quatre parties du monde accourir à de nouveaux conciles écuméniques une foule enivrée, et les spiritualistes les plus austères n’ont pu se défendre de l’éblouissement universel. Mais n’est-il pas à craindre que ces témoignages miraculeux de la puissance de la nature et de la puissance de l’homme n’encouragent l’homme à s’adorer lui-même et à se prosterner devant la nature?

Une autre illusion s’est glissée dans les âmes à la faveur d’une des croyances les plus chères à notre époque et qui lui font le plus d’honneur, la foi au progrès. Il y a à peine un siècle que la société a conçu cette grande pensée, qu’elle était appelée à s’améliorer sans cesse, et cette pensée lui a donné le courage de supporter sans désespoir les plus terribles épreuves. Malheureusement le désir du mieux est devenu chez quelques-uns le désir de l’impossible. On a cru qu’un changement dans la société pouvait combler l’abîme que l’expérience de tous les siècles avait reconnu entre le désir et le bonheur, et tandis que le vrai sens de la doctrine du progrès est d’imposer sans cesse à l’individu des devoirs nouveaux, on a cru qu’elle lui assurait des puissances illimitées. Telle est l’origine des sectes utopistes de notre temps.

Il s’est élevé de toutes parts des doctrines qui nous ont promis le ciel sur la terre. La première et la plus célèbre s’est présentée d’abord sous la forme religieuse, et s’est appelée le nouveau christianisme. Dans l’origine, elle ne fit que poser des principes incontestables : elle assurait qu’il faut travailler au plus grand bonheur du plus grand nombre, qu’il faut rétribuer chacun selon ses œuvres.