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La réforme est un fait complexe et à double sens : prise en elle-même, elle est un réveil de la cité du ciel, qui, peu à peu dégénérée, n’était plus qu’un fantôme ; mais en s’associant aux grandes révolutions du siècle, elle se fit l’auxiliaire de la cité de la terre.

De quelque manière en effet que l’on juge le protestantisme, dans ses dogmes et dans son histoire, on ne peut nier qu’il n’ait été à l’origine un réveil de l’esprit religieux. Depuis Gerson, c’est-à-dire depuis près d’un siècle, on n’avait pas vu un seul grand homme religieux en Europe. Le XVe siècle avait été un siècle effroyable où la politique avait partout pratiqué cette perfidie odieuse dont Machiavel semble avoir donné la théorie. La politique pontificale avait lutté d’astuce et de mensonge avec toutes les cours de l’Europe. La renaissance des lettres et des arts, à laquelle l’église catholique s’était associée avec une ardeur qui l’honore, avait ramené dans les mœurs l’élégance et une certaine dignité, mais non la moralité et la foi. La scolastique, de plus en plus desséchée, avait perdu ce grand esprit religieux qui animait les saint Bonaventure et les saint Thomas, et se perdait dans une déplorable logomachie. C’est alors que Luther, en faisant jaillir la doctrine de la grâce des profondeurs de son âme, donna au monde chrétien une secousse dont le catholicisme lui-même a profité.

Une fois cependant que le protestantisme se fut mêlé au tumulte des événemens du siècle, il s’inspira de son esprit. C’était l’époque où la vie et la nature éclataient de toutes parts avec une force nouvelle et irrésistible. La réforme s’associa à ce mouvement, auquel son principe aurait dû la rendre en apparence plus contraire que le catholicisme même. Née du mysticisme, elle fit la guerre à l’ascétisme ; née de la foi, elle invoqua le libre examen ; proscrivant les arts par haine du catholicisme, elle favorisa l’essor de l’industrie, des voyages, de la colonisation ; unie d’abord à la doctrine du pouvoir absolu, elle s’allia bientôt à la liberté politique. Ainsi la réforme, c’est d’une part une protestation de liberté en faveur de la raison individuelle et des instincts légitimes de la nature, de l’autre une protestation de la foi vive et de la grâce intérieure ; mais de ces deux tendances, la première a gagné de plus en plus, elle a insensiblement effacé l’autre, et en considérant aujourd’hui la réforme, non dans son origine, mais dans son développement, on peut y voir surtout l’effort de la cité de la terre pour s’affranchir de l’ascétisme monastique et du joug sacerdotal.

Le XVIIe siècle est le plus beau moment de la cité de Dieu. Le catholicisme, secoué et réveillé par la réforme, n’a jamais été plus grand ni plus éclairé. Saint François de Sales, Bossuet, Fénelon, unissent la grandeur du sentiment religieux à la connaissance du cœur humain et au sentiment des nécessités de la vie. La religion s’unit à l’histoire, à la philosophie, à la politique : elle leur prête et