Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

biens du clergé, l’indépendance des tribunaux, ces axiomes du nouveau droit public seraient autant de révolutions parmi vous ; ajoutez-y la liberté de la parole avec la liberté de la presse, ce qui implique des assemblées régulières dont vos anciennes assemblées contenaient le principe, et dont la Russie même vous a laisse le simulacre, car nul ne concevra que, le droit principal de votre nationalité reposant, comme on l’a vu, sur la langue nationale et populaire, le premier acte de votre réorganisation fût d’enchaîner et d’étouffer la parole. C’est par elle que vous avez survécu ; respectez-la. Quant à nous, peuples latins, nous sommes tous intéressés dans cette affaire. Il ne faudrait pas, par l’exemple d’un peuple nouveau, autoriser les Allemands, les Anglo-Saxons dans cette opinion si chère à leur orgueil, que le droit, la liberté, faits pour eux seuls, doivent rester étrangers à la race latine.

J’ai quelquefois, il est vrai, entendu des Roumains prétendre qu’un étranger investi de toute la force étrangère est seul capable d’imposer la justice, par son omnipotence, à un monde accoutumé depuis trop longtemps à être régi par l’injustice. Ayant épuisé la tyrannie du mal, ceux-là invoquent la tyrannie du bien. Après le despotisme de l’Orient, ils se tournent vers le despotisme de l’Occident. Eh quoi ! toujours la servitude ! Si du moins celle-ci devait tourner au profit de la raison ! Mais où chercher, où trouver ce parfait sage, ce demi-dieu, cet hercule chrétien qui, se réglant sur sa seule volonté, mettra son caprice dans le bien public, étouffera les hydres, nettoiera les écuries d’Augias sans se laisser aveugler jamais par la quasi-divinité dont on propose de l’investir ? Supposez même qu’on eût trouvé ce parfait prodige, je soutiens qu’il serait impuissant, car le despotisme de toutes les formes s’est usé sur la terre roumaine ; parce qu’il viendra de l’Occident, se trouvera-t-il rempli de la force qui lui a manqué jusqu’ici ? Sur cette terre de malheur, une seule chose n’a jamais été essayée ; laquelle ? Le droit. C’est donc au droit qu’il faut recourir. Toutes les combinaisons de tyrannie qu’il vous plaira d’imaginer, violentes, sanguinaires, rusées, débonnaires même, se sont succédé, toutes n’ont servi qu’à implanter davantage l’habitude de mal faire. Un Alexandre le Bon, un Basile le Loup reparaîtrait en personne, qu’il serait par lui seul incapable de relever ce corps tombé, s’il ne s’appuyait du puissant levier du monde moderne, liberté, publicité. Autant vaudrait livrer bataille aujourd’hui avec les flèches et les arcs des ancêtres, en refusant le secours des armes nouvelles. D’où vient que l’organisation monstrueuse de la Moldo-Valachie a pu vivre jusqu’à nos jours ? C’est que la lumière n’y est jamais descendue. En face de cet échafaudage ruineux, que pourrait un pauvre prince d’Europe, s’il entreprenait la lutte à lui