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que dans les trêves sous les murs de Sébastopol nos officiers et nos soldats ont toujours trouvé près des Russes l’accueil le plus empressé, ont toujours reçu d’eux les éloges les plus flatteurs, tandis qu’on affectait vis-à-vis des Anglais la plus grande froideur et presque du dédain pour leurs qualités militaires. C’est ainsi encore que les Russes ont mis une très grande différences dans leur attitude et leurs procédés avec les prisonniers des deux nations, non pas qu’ils aient maltraité les Anglais, mais ils ne faisaient pour eux que ce qu’exigeaient les lois de la guerre et de l’humanité, pendant que les nôtres étaient fêtés, choyés avec une attention qui mériterait de notre part une très vive reconnaissance, si la politique ne devait pas être comptée autant que la générosité naturelle dans ce déploiement d’humanité.

Une autre raison qui nous fait croire à la sincérité de la Russie et qui vaut encore mieux que la première, c’est que la Russie n’est plus en mesure de continuer la guerre avec quelques chances de succès, et qu’elle en est elle-même convaincue. Peut-être ne pourra-t-on jamais dresser un état tant soit peu exact des pertes immenses que ces deux années de guerre ont causées à la Russie, peut-être l’administration impériale elle-même ne connaît-elle pas le chiffre des soldats que l’armée russe a perdus soit sur le Danube, soit en Crimée, soit en Asie; mais qui voudrait contester qu’il ne s’élève à plusieurs centaines de mille hommes ? Combien la Crimée elle seule en a-t-elle dévoré? Les pièces officielles publiées par les Russes eux-mêmes fournissent à cet égard des indications significatives. Ainsi, dans le rapport où il rend compte de l’assaut de Malakof, le prince Gortchakof accuse une perle de 28,652 hommes pour les vingt-trois derniers jours du siège; encore ce chiffre de 28,652 hommes ne représente-t-il que les pertes essuyées par les troupes d’infanterie. Le général russe dit à deux reprises que l’artillerie ne lui a pas encore envoyé ses rapports particuliers, et il avoue dans un passage spécial que le feu infernal de l’ennemi a si cruellement maltraité ses canonniers, qu’il ne peut plus fournir aux batteries le nombre d’hommes nécessaire pour les servir. Or les Russes comptaient environ 700 pièces en batterie sur les remparts de Sébastopol; quel peut donc être le chiffre qu’il faut ajouter pour les pertes de l’artillerie à celui de 28,652 hommes des troupes d’infanterie que le rapport du prince accuse pour vingt-trois jours seulement? De plus, le siège de Sébastopol a demandé pour être mené à bonne fin trois cent trente-six jours de tranchée ouverte. Essayez maintenant de supputer ce que ces trois cent trente-six jours ont coûté d’hommes mis hors de combat par le feu de l’ennemi ! Ajoutez-y les pertes de l’Alma, d’Inkerman, de Traktir; ajoutez-y encore et surtout les malades qui dans toutes les armées sont toujours