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avoir recours pour le recruter ni à la presse, ni à aucun procédé coercitif, ni à la conscription, ni à l’inscription maritime, c’est que même il n’a pas été besoin de tenter les matelots par l’appât d’une prime d’engagement. Ils sont venus d’eux-mêmes; il en viendrait encore par milliers, si l’honneur du pavillon, si la sûreté du pays les réclamaient, car ils savent que sur eux spécialement reposent les destinées, la gloire, la considération et l’indépendance de l’Angleterre. Il ne faudrait pas d’ailleurs s’exagérer les difficultés que rencontre le gouvernement anglais à trouver des soldats. Nous avons dit qu’en 1854 l’armée se composait de 150,000 hommes seulement; or le budget du ministre de la guerre pour l’année financière 1856-57 prévoit 275,000 hommes des troupes de la garde ou de la ligne, 127,000 hommes de la milice, 14 500 hommes des corps étrangers, légion allemande, légion italienne, etc., 3,470 des troupes de l’administration : total, 429,970 hommes, qui pourraient fournir, avec le contingent anglo-turc, deux armées de 100,000 hommes chacune pour agir contre la Russie, Ce chiffre formidable, surtout si l’on tient compte du point de départ, justifie ce que dit la presse anglaise, à savoir que si l’Angleterre commence ordinairement la guerre avec des ressources inférieures à celles de l’ennemi, elle la finit ordinairement aussi avec des forces supérieures; tandis que les moyens de ses adversaires diminuent, les siens au contraire se développent dans des proportions qui semblent presque indéfinies.

L’Angleterre a trop la conscience de sa force pour que les piqûres faites à son amour-propre par des commérages haineux ou inintelligens puissent la faire dévier de la voie droite, et la provoquent à vouloir continuer la guerre. Elle a subi au début les inconvéniens attachés à un régime qui en définitive l’a conduite aux plus glorieuses destinées, mais elle n’a rien à venger; elle a souffert dans son for intérieur de la perte de tant de braves gens, mais devant l’ennemi elle n’a éprouvé aucun échec qui exige une réparation. Bien loin de là, ses soldats lui rapporteront le souvenir de glorieux faits d’armes et les preuves éclatantes de leur supériorité sur les troupes qu’ils ont combattues à l’Aima, à Inkerman, à Balaclava. L’Angleterre peut donc dédaigner les vains propos, et lorsque l’ennemi, qui ne pense pas sans doute comme ses détracteurs, se résigne à traiter sur les conditions qu’elle a fixées, on peut croire qu’elle ne créera pas d’inutiles obstacles dans les voies de la négociation, si de son côté l’ennemi reste, dans la discussion des détails, sincèrement fidèle à l’esprit des propositions qu’il a acceptées sans réserve.