Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous visiter ; peut-être sont-ils plus propres que nous-mêmes à découvrir l’étincelle immortelle cachée sous nos misères. La France ouvrira, agrandira leur horizon, car quelquefois l’esprit se rapetisse dans de petits pays. Il est bon aussi qu’ils viennent sceller chaque année l’alliance au foyer de la race latine. Je crois même, puisqu’ils doivent se transplanter, qu’ils s’y prennent trop tard ; des enfans en bas âge qui n’auraient pas encore contracté l’habitude des choses qu’on veut corriger seraient assurément plus propres à recevoir des impressions nouvelles, surtout à les garder. Que les jeunes Roumains nous voient donc, et qu’ils sachent en même temps que nous aussi, dans notre Occident, nous avons nos Byzances. Cependant je ne voudrais pas qu’ils retournassent dans leur pays sans avoir visité quelques-uns des petits états, qui, enclavés au milieu des grands, ont su garder leur indépendance native avec leur liberté, par exemple la Hollande et la Suisse. Ils auraient là un spectacle analogue à celui qu’ils sont destinés à rencontrer chez eux ; ils verraient comment un petit peuple sait se faire respecter des plus grands. La France, je le veux bien, leur inspirerait les hautes et magnanimes ambitions ; les états que je viens de nommer leur apprendraient ce qu’il faut en garder pour qu’elles soient raisonnables. Ils rentreraient chez eux, emportant une certaine règle qu’ils pourraient appliquer, car le malheur serait qu’après avoir vu les choses humaines sur de trop grandes proportions, ils ne pussent plus accepter les conditions que la nature leur a faites, et qu’en voulant débuter comme la France a fini, ils ne se jetassent à plaisir dans l’impossible.

Vous avez un peuple parfaitement sain d’esprit. La corruption des grands a passé sur sa tête sans l’entamer, son sens du moins est resté droit. Protégez-le d’une triple muraille contre nos subtilités. Ne lui dites pas que le progrès est de tomber, car il est simple après tout, et il vous croirait peut-être. Cachez-lui ce fatal secret que les peuples qu’il avait pris pour modèles croient ne rien perdre et même tout gagner en renonçant à toute valeur morale. Il n’est que nu, pauvre, misérable, quasi serf : de grâce n’en faites pas un sophiste tout fier de sa domesticité.

Vous avez une religion qui ne paraît pas incompatible avec la liberté civile et politique, car tous les cultes, depuis un temps immémorial, sont admis et tolérés parmi vous. Ceux mêmes que le peuple a en mépris n’ont jamais été proscrits ni persécutés. La liberté des cultes, cette idée élémentaire pour laquelle nous avons tant lutté dans notre Occident, et qu’il nous a été impossible de faire accepter ni même de montrer à la plus grande partie de la race latine, ne souffre chez vous aucune contradiction. C’était la meilleure moitié de la révolution française, et cette moitié est enracinée dans vos