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disparu par le fer, par le feu, par les maladies, ou ayant été renvoyés dans leurs foyers pour se remettre de leurs blessures, pour rétablir leur santé.

Assurément il est difficile de garder un empire qui compte cent cinquante millions de sujets à aussi peu de frais, et en enlevant aussi peu de bras aux forces productives du pays; mais quand il s’agit de prendre l’offensive sans retard, une pareille situation n’offre pas les élémens nécessaires pour former une grande armée d’opération contre un ennemi tel que la Russie. Il y a plus, un pareil point de départ doit produire des inconvéniens considérables. Tous ces détachemens dispersés sur tous les points du globe ne savent pas ce que c’est que vivre en grand rassemblement; leurs chefs immédiats ne sauront où demander des ordres que des officiers d’état-major improvisés ne sauront leur faire parvenir. Des généraux qui n’ont peut-être jamais vu dix mille hommes réunis manqueront de coup d’œil sur le terrain, ne pourront pas calculer ce qu’il faut de temps à tel ou tel nombre de troupes composé d’armes différentes pour se former, pour franchir une distance, pour recevoir une distribution; ils ignoreront les conditions toutes spéciales qu’il faut prévoir pour une grande réunion d’hommes. Les chances de désordre et de confusion seront infinies. C’est bien pis encore pour tous les services administratifs qu’une armée doit traîner après elle sous peine de ne pas pouvoir vivre, de ne pas faire manger ses chevaux, de ne pas soigner ses malades et ses blessés. Or ces bataillons, ces compagnies éparses dans cent pays divers ne pouvaient pas aspirer au luxe d’avoir chacune un état-major administratif chargé de pourvoir à ses besoins, et pour y satisfaire l’on s’en remettait au marché, à l’hôpital et aux pharmacies des villes où on tenait garnison. En temps de paix, c’était très bien et très facile; mais en campagne, avec une grande armée, sur un territoire qui n’offrait aucune ressource, il en fut tout autrement. Il fallut alors improviser un corps d’intendance qui, n’ayant aucune expérience pratique, ne savait comment faire parvenir aux troupes ce que celles-ci à leur tour ne savaient pas lui demander. Ni la générosité du gouvernement, qui fut poussée à l’extrême, ni le dévouement des hommes honorables qui furent employés, ne pouvaient et n’ont pu suppléer d’abord au défaut d’expérience. Service des vivres, service des transports, service hospitalier, tout a failli, ainsi que l’ont constaté le comité d’enquête de la chambre des communes et les rapports des commissaires envoyés sur les lieux par le gouvernement pour rechercher les causes des souffrances de l’armée. Aujourd’hui le retour de scènes pareilles à celles qui ont affligé l’Angleterre pendant les premiers mois de la campagne de Crimée n’est plus possible, et l’armé3 que commande le général Codrington est peut-être la plus richement pourvue qui soit au monde. On peut