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le parlement lorsque la question des lieux-saints a commencé à prendre de la gravité, on serait frappé d’étonnement en voyant le soin que chacun prenait pour éviter d’avoir à intervenir dans le différend, en quels termes lord John Russell, alors ministre des affaires étrangères, écrivait à tous ses agens de ne pas compromettre l’Angleterre protestante dans une contestation qui semblait ne concerner que les grecs et les latins; mais aussi, lorsque la Russie eut démasqué ses batteries, lorsqu’il devint évident qu’une énorme iniquité allait se commettre si on ne l’arrêtait par la force, alors l’Angleterre prit son parti. Le parlement, représentant fidèle de l’opinion publique, poussa les ministres presque malgré eux, et le gouvernement tomba du côté où il ne penchait pas d’abord; il entra dans l’alliance française, et déclara la guerre à la Russie.

L’Angleterre n’était pas prête matériellement et militairement à faire cette guerre; depuis 1815, elle avait désarmé. L’avantage de sa position insulaire, qui ne fait pas reposer sa sécurité sur le nombre et l’excellence de ses troupes de terre, l’heureuse condition de son état intérieur, qui la dispense d’avoir besoin des baïonnettes pour maintenir l’ordre et faire la police chez elle, lui avaient permis de réduire son effectif au chiffre le plus bas. Elle n’avait pas alors plus de cent cinquante mille hommes dans son armée régulière, employée, pour la beaucoup plus grande partie, à la garde de ses innombrables colonies. Or une seule d’entre elles, l’empire des Indes, absorbe vingt-cinq mille hommes, le Canada sept ou huit mille, le cap de Bonne-Espérance quatre ou cinq mille; Gibraltar, Malte, l’Australie, la Jamaïque, les Antilles et quelques autres encore, à peu près autant; les garnisons de l’île Maurice, de Ceylan, de Singapore, de Hong-kong, de Sainte-Hélène, des Iles-Ioniennes, quelques milliers encore, si bien qu’en février 185Zi, au moment de la déclaration de guerre, l’armée anglaise comptait bien près de cent mille hommes répandus par petits groupes sur tous les points du globe. A vrai dire, il n’y avait alors en Angleterre, sous la main du gouvernement, que cinq ou six mille hommes de la garde, les quelques régimens auxquels il faut bien accorder de temps en temps le bénéfice d’un séjour plus ou moins court dans la mère-patrie, et enfin les compagnies de dépôt des corps employés dans les colonies. Quant aux régimens de milice, qui venaient à peine d’être formés, il ne fallait pas songer à les mener devant l’ennemi; les services qu’ils pouvaient rendre et qu’ils ont rendus, c’était de relever dans leurs garnisons les troupes régulières et de permettre de les mobiliser, c’était de fournir une base de recrutement à l’armée. En effet, c’est grâce à la milice que le gouvernement anglais a pu expédier successivement pour la Crimée plus de cent mille hommes, dont cinquante mille environ sont encore sous les murs de Sébastopol, les autres ayant