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barbe des Russes, car ils la feraient partout. » Nos alliés n’avaient malheureusement pour eux ni ce goût ni ce savoir-faire, et M. Soyer a dû venir de Londres en Crimée tout exprès pour apprendre aux soldats anglais à faire la soupe.

Il serait trop long sans doute de vouloir faire ressortir tous les avantages que notre jeune armée doit à la sagesse des lois et des règlemens qui lui ont été donnés par le gouvernement représentatif. Il est cependant quelques points sur lesquels nous croyons devoir insister, car il nous semble que l’expérience vient de les mettre en lumière de la façon la plus éclatante. C’est un grand avantage, croyons-nous, pour un corps qui doit posséder une unité aussi parfaite qu’une armée, d’être composé, comme la nôtre, d’hommes entre lesquels il y a peu de différence d’âge. La similitude des goûts, des manières-de voir, est une garantie pour la vitalité de l’esprit de corps, pour l’harmonie intérieure des régimens, pour la facilité des rapports des hommes entre eux, pour la liberté morale de chacun, autant du moins que cette liberté peut se concilier avec les rigoureuses exigences de la vie militaire. J’en parle pour avoir pu constater par expérience personnelle les mauvais effets qui se produisent dans les conditions contraires, et comment il arrive que, dans une troupe composée d’hommes très différens par l’âge, les plus avancés dans la vie et par conséquent les plus habiles exercent souvent sur les plus jeunes une tyrannie qui devient la cause de querelles sans fin, d’un malaise général, et par suite d’une mollesse fâcheuse dans le service. Je suis peu sensible, je l’avoue, à cette considération qui fait croire qu’il faut dans les corps de vieux soldats pour former les plus jeunes et pour conserver les traditions : ce sont les corps eux-mêmes, non pas quelques individus, qui doivent être chargés de ce soin, et si je puis dire toute ma pensée, j’ajouterai que la plupart du temps il y a plus à regretter qu’à encourager dans cet enseignement mutuel des cadets par leurs aînés, surtout quand ceux-ci ont trop de droits au respect des autres.

Une autre question que soulève l’expérience que nous venons de faire, c’est celle de savoir si l’âge moyen dans l’armée française, vingt-quatre ou vingt-cinq ans, n’est pas celui où l’homme est le plus propre à supporter les fatigues de la guerre offensive. Pour défendre une place, il est possible que des hommes plus âgés vaillent tout autant, et il est certain que pour faire la police dans une ville ou dans un pays, sans sortir de ses foyers, ils valent beaucoup mieux : l’exemple de la gendarmerie est là pour le prouver; mais quand il s’agit d’aller attaquer l’ennemi chez lui et de tenir la campagne, les conditions du problème sont peut-être très changées. Je n’entreprendrai pas de le résoudre en faveur de la jeunesse, cela