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champ de bataille, est d’ordinaire assez peu adroit en campagne. Il manie difficilement la pelle et la pioche, qui sont non moins utiles à la guerre que le fusil et le canon; il ne sait pas remuer de lourds fardeaux, il a plus que de la répugnance pour les corvées, il accuse à tout instant le manque de cette éducation qui rend l’homme des champs très peu sensible à la pluie, à la bise, au soleil, qui lui permet d’estimer une distance et de juger un terrain, de deviner à première vue où il trouvera l’eau et le bois, de reconnaître des indices précieux dans les bruits de l’air, de s’orienter à l’ombre du soleil et au cours des astres, d’abriter son bivouac, de se procurer du feu, de combattre enfin, par mille petits moyens que l’expérience seule peut apprendre, les mille privations que l’administration la plus intelligente et la plus libérale ne peut pas épargner au soldat en campagne. Un des détails de nos habitudes militaires qui semble avoir le plus frappé les Anglais, c’est l’industrie que déployaient nos soldats pour avoir toujours du feu et toujours quelque chose à cuire sur ce feu, l’éternel pot-au-feu, la sempiternelle pot-bouille, comme je l’ai vu vingt fois écrit en français dans les innombrables lettres du théâtre de la guerre que publiaient les journaux de Londres. Je m’en rappelle une entre autres qui était signée par un capitaine de je ne sais plus quel régiment de l’armée de la reine. Il racontait qu’ayant un jour été mandé par son colonel, il avait reçu la mission assez épineuse, on le croyait du moins, d’aller faire pendant la nuit suivante une reconnaissance dans le grand ravin qui séparait les attaques anglaises des nôtres. Comme c’était la première fois qu’on songeait à s’éclairer de ce côté, notre capitaine prend avec lui deux ou trois hommes choisis, et la nuit venue, le voilà qui se glisse avec précaution dans le ravin : il avance, il avance, lorsque tout à coup il est hélé par une sentinelle française, qui, après l’avoir reconnu, le conduit avec ses hommes dans une espèce de grotte où il trouve un poste des nôtres parfaitement installés, dormant, fumant, causant à voix basse, qui lui font voir tout ce qu’il désirait connaître de la situation des choses dans le ravin, et le renvoient après lui avoir fait prendre, ainsi qu’à ses hommes, du bouillon et du café. Rien de plus poli et de meilleur goût que les termes dans lesquels le capitaine se loue de l’hospitalité des Français ; rien de plus amusant que le dépit avec lequel il raconte que cette expédition, pour laquelle il était parti avec l’espérance de se signaler par quelque service exceptionnel, l’a conduit tout simplement à découvrir un poste français comfortablement établi, causant tranquillement autour de ses inévitables marmites qui migeotaient bien doucement sur un feu habilement entretenu sans éclat ni fumée pour ne pas se trahir, et cela sous la portée de l’ennemi; « car les Français font la cuisine à la