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les mouvemens des escadres combinées, le rôle de la marine française a-t-il été très brillant. Au passage des Dardanelles, elle accomplit son opération sans tâtonnement, sans hésitation, en ne laissant qu’un seul vaisseau à la traîne, tandis que la flotte anglaise, qui avait commencé sa manœuvre à la même heure et au même instant que nous, reste neuf jours avant de pouvoir nous rejoindre. De même, au débarquement de l’armée à Old-Fort le 14 septembre 1854, la marine mettait trois divisions à terre avec leur artillerie entre huit heures un quart du matin et midi et demi, et le même jour elle avait terminé le débarquement du matériel avant le coucher du soleil, tandis qu’il fallait trois jours à l’armée anglaise, plus nombreuse, il est vrai, et embarrassée d’un plus grand nombre de chevaux, pour avoir à terre tout son monde et tout son matériel. De notre côté, les mesures avaient été si bien prises et si bien exécutées, que vingt-deux minutes après le coup de canon qui donnait le signal d’amener les embarcations pour conduire les troupes à la plage, nous comptions déjà plus de six mille hommes formés en bon ordre sur le territoire ennemi. De même encore, le jour de l’ouverture du feu devant Sébastopol, le 18 octobre 1854, lorsque les généraux demandent à la marine de faire une diversion et d’essayer les murailles de bois de ses navires contre les forts de granit à triple étage de canons qui battent l’entrée de la rade, c’est la flotte française qui supporte le plus gros du feu, et dans ce combat inégal, où elle compte trois cent cinquante tués et blessés, l’ennemi en accuse plus de mille par son rapport. On sait ce qu’ont fait aussi ses batteries flottantes à Kinburn. A terre même, elle porte des coups sensibles à l’ennemi : à Svéaborg, elle imagine de construire sur l’îlot d’Abraham une batterie de mortiers qui contribue de la manière la plus efficace aux résultats obtenus, et dans les tranchées devant Sébastopol, les canonniers marins, commandés par M. Rigault de Genouilly, se font remarquer entre tous par la justesse de leur tir, par leur bonne conduite, par leur dévouement. Dans cette campagne, où il n’y a pour elle ni repos, ni trêve, ni espérance de gloire proportionnée à ses rudes travaux, la marine française déploie tous les genres de mérite que le pays pouvait attendre d’elle; elle n’a qu’un défaut, c’est l’exiguïté numérique de son personnel. La France n’a pas et n’aura jamais assez de ces braves et excellentes gens à son service.

C’est avec intention que je me suis étendu quelque peu sur les mérites d’une arme au milieu de laquelle j’ai passé, observateur étranger, plusieurs années qui m’ont appris à savoir ce que valent nos marins, et qui me font regretter non pas la gloire de leurs émules de l’armée de terre, mais l’obscurité relative du rôle où des circonstances qu’il ne dépendait pas d’elle de changer ont réduit la marine. Il n’est que