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des conférences de Paris, la sagesse et le bon sens disent du moins qu’elle aurait dû en sortir.


I.

Parlons d’abord de la France : aussi bien c’est elle qui a joué le principal rôle dans la guerre. L’Angleterre a peut-être dépensé autant d’argent, mais elle n’a fourni qu’un moindre nombre de combattans; l’état général de situation dressé pour régulariser le partage des dépouilles de Sébastopol entre les alliés accusait pour le 8 septembre, jour de la prise de Malakof, cent vingt-six mille Français présens sous les armes contre soixante-trois mille Anglais et Piémontais réunis. Dans l’opinion universelle de l’Europe, c’est donc à notre armée que revient la plus grande part de l’honneur acquis dans la dure et laborieuse campagne de Crimée, nous pouvons le dire avec une légitime fierté; mais, pour être juste avec tous ceux qui ont si bien servi leur pays, il faut savoir associer dans notre reconnaissance et dans nos sympathies la marine à l’armée. Condamnée à un rôle ingrat, exclue dans la plupart des occasions où il y avait quelque gloire à gagner, la marine n’en a pas moins été la providence de nos soldats. Rien n’aurait pu se faire ou du moins rien n’aurait pu tourner à bien sans la merveilleuse activité qu’elle a déployée, sans l’inépuisable dévouement dont elle a fait preuve, soit qu’il fallût soigner les blessés et les ramener en France, soit qu’il fallût abandonner son matériel, ses armes, ses vivres et jusqu’à ses équipages à l’armée de terre. Quel sacrifice lorsqu’il a fallu dépouiller de leur appareil militaire tant de beaux vaisseaux, tant de belles frégates, hier l’orgueil de l’océan, convertis aujourd’hui en vulgaires transports pour les munitions, en écuries pour les animaux nécessaires à l’existence de l’armée, en hôpitaux flottans pour ses malades! Quel esprit d’ordre et de prévoyance, quelle industrie, quelle fertilité de ressources, lorsque la marine a transformé, avec une rapidité qui tient du prodige, la plage déserte de Kamiesh en place de guerre, en ville de commerce, en port militaire, en entrepôt qui a fourni à tous les besoins de l’armée, car Kamiesh a été tout cela, grâce à la discipline, à l’invention, à l’énergique et infatigable travail de nos marins ! Et dans les rares circonstances où ils ont pu prendre part aux opérations actives, quelle rapidité dans les mouvemens, quelle intelligence et quelle sûreté dans l’exécution, quel ensemble dans la masse et quelle vie dans les détails ! Comme chacun connaît sa place, sait ce qu’on attend de lui, et l’exécute sans bruit, sans zèle turbulent, sans gêner, les autres, en rattachant toujours et de lui-même sa petite part d’action à l’action générale! Aussi, dans tous