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alors abondamment pourvu; mais l’appel des fonds nécessaires à l’achèvement des travaux ou à la constitution définitive de ces entreprises a pesé sur cette classe de capitaux, et a diminué d’autant ceux qui restaient comme fonds de roulement à la disposition du crédit commercial. Ainsi, lorsque l’on interroge la situation du marché des capitaux pendant 1855, on voit que, soit par leur formation, soit par leur emploi, soit par leur distribution, la part qui devait en revenir au crédit commercial était singulièrement réduite. Le loyer des capitaux devait donc augmenter par la force des choses, et les Banques d’Angleterre et de France, en ne consultant que la situation du marché du crédit, et même sans tenir compte de l’accident des exportations de numéraire, devaient être amenées à élever le taux de l’intérêt[1].

L’élévation du taux de l’intérêt dans de telles circonstances est-elle nuisible au commerce, comme l’ont prétendu, avec une opiniâtreté passionnée, des esprits systématiques? C’est le contraire qui est la vérité : l’élévation de l’intérêt est, dans une pareille situation, la seule manière de servir efficacement le crédit commercial. Il en est du crédit comme de tout ce qui s’achète et se vend; il a son prix naturel, et c’est rendre au commerce le plus mauvais des services que de fausser les prix naturels. Si les banques usaient de leur influence pour maintenir artificiellement le crédit au-dessous de son prix naturel, d’abord elles n’y réussiraient pas longtemps, ensuite elles jetteraient dans les affaires des germes de désordres qui se tourneraient non-seulement contre elles, mais contre le commerce tout entier, qu’elles auraient abusé sur ses véritables ressources. Quand les capitaux sont plus demandés qu’offerts, il faut que le crédit renchérisse. La cherté du crédit est le moyen le plus prompt

  1. On trouve dans le compte-rendu annuel de la Banque des chiffres qui sont le symptôme irrécusable de cette diminution du capital disponible dans ses rapports avec le crédit commercial. Les dépôts en compte-courant sont, parmi les ressources des banques, celles qui représentent l’offre directe du capital au crédit. En 1854, la moyenne de ces dépôts avait été de 170 millions. Les escomptes de 1834 avaient été de 2 milliards 944 millions ; ceux de 1855 se sont élevés à 3 milliards 762 millions, et représentent une augmentation de 818 millions. Si les dépôts en comptes-courans, c’est-à-dire l’offre directe des capitaux, avaient suivi la progression des escomptes, c’est-à-dire de la demande du crédit, ils auraient dû augmenter de 40 millions et arriver à 210; au lieu d’augmenter dans cette proportion naturelle, ils ont diminué de 14 millions. La moyenne a été de 156 millions en 1855.
    L’opinion qui attribue l’élévation de l’intérêt bien plus à l’insuffisance des capitaux qu’à l’insuffisance du numéraire a été exposée avec une grande force dans une lettre publiée par le Times du 14 décembre dernier sous la signature pseudonymique Mercator. Le Times consacra un article de fond à cette lettre, émanée, disait-il, d’une des plus hautes autorités financières de l’Angleterre. On sut bientôt en effet que Mercator n’était autre que M. Lloyd.