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merveilles qui attendent encore leur historien ou leur peintre ! Ne possédez-vous pas dans les vallées des Carpathes toutes les richesses d’un sol montagneux ? N’est-ce pas là une Suisse orientale fertile en troupeaux, en bois de construction ? Dans les plaines, la terre n’est-elle pas plus féconde que les nôtres mêmes, puisqu’elle se passe d’engrais ? N’avez-vous pas, par une bonne fortune singulière, des cours d’eau, la Bistritza, le Sereth, le Pruth, le Jiul, l’Olto, l’Argès, la Dimbovitza, la Jalomitza, qui traversent parallèlement le pays du nord au midi, et portent vos productions dans le grand bassin du Danube ? Le moindre effort les rendrait tous aisément navigables ; plus je regarde votre pays, moins je vois par où il doit le céder à d’autres. Que le droit, la vie morale, l’indépendance, les besoins les plus élevés de la nature humaine disparaissent seulement de la terre, vous voilà en un jour les égaux des plus favorisés.

Après tout cela, si la pensée singulière de vous régénérer moralement prenait une forte consistance parmi vous, quelle nouveauté ne serait-ce pas ? Vous devriez, ce me semble, l’essayer, ne fût-ce que pour vous distinguer des autres. Dans un temps où il est convenu que la régénération matérielle marque seule la civilisation vraie, que toute nourriture donnée à l’âme humaine est une dépense perdue, une non-valeur, toute inspiration de justice une chimère, un roman, il ne serait pas sans importance de voir un petit peuple prétendre à rentrer dans la vie par la renaissance morale autant que par la renaissance physique. Un pareil démenti donné à toutes nos maximes, à tous nos systèmes, intéresserait le monde au moins par la curiosité, et ce ne serait pas là non plus une si grande extravagance qu’il doit sembler d’abord.

Dans le moment où une nation se retrouve, il s’échappe du cœur même des plus endurcis je ne sais quel désir de probité, d’intégrité, de vie morale. Ce moment se retrouvera indubitablement chez vous ; c’est cet instant qu’il s’agirait de saisir. J’ai vu la Grèce dans le temps qu’elle travaillait à son indépendance : tous les brigands étaient ce jour-là gens de bien ; j’ai dormi seul, au milieu d’eux, dans leurs retraites les plus inaccessibles, avec plus de sécurité que je ne pourrais le faire aujourd’hui dans nos villes les mieux gardées. De même en Italie ; qui doute que les mœurs n’y soient devenues plus réglées depuis qu’on a espéré y revoir une patrie ? Si parmi vous il était possible de ne plus mettre en doute la résurrection de la chose publique, on verrait sortir des actes éclatans de cette certitude. Ceux-là mêmes qui semblent aujourd’hui pétrifiés dans l’injustice séculaire se sentiraient mollir. C’est le doute sur la renaissance de la patrie qui arrête tout, qui glace tout. On a peur de travailler pour un rêve. Le manque d’une patrie n’est un si grand malheur que