Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le capital fixe est insignifiant ou nul; le négociant n’a besoin que d’un capital de roulement. C’est à l’aide de ce capital qu’il rembourse les avances de l’industriel en lui achetant ses produits; il est également évident qu’il faut qu’il proportionne son capital, c’est-à-dire le chiffre des avances qu’il aura à rembourser à la production, à la quantité et à la valeur des produits sur lesquels il compte opérer, et au temps nécessaire à l’écoulement de ses marchandises. Le commerce de banque rentre sous ce i-apport dans la loi du commerce ordinaire. Le capital d’une banque est un capital de roulement. Comme tout capital de roulement, il est destiné à subvenir aux avances que la banque pourra être obligée de faire en attendant celles qui lui seront faites à elle-même; mais il est aisé de comprendre que si une banque obtenait autant d’avances d’un côté qu’il lui en serait demandé de l’autre, et jouissait d’un crédit égal à la somme des crédits qu’elle accorderait elle-même, son capital lui serait inutile comme capital de roulement. Pour des raisons que nous allons voir, c’est justement ce qui est arrivé aux deux plus grands établissemens de ce genre qui existent en Europe, la Banque d’Angleterre et la Banque de France. Ces banques fonctionnent en réalité sans capital de roulement, et l’on peut même dire de la Banque d’Angleterre que depuis sa fondation, en 1694, elle n’en a jamais eu. M. Macaulay, dans l’un des derniers volumes qu’il vient de publier de sa belle Histoire d’Angleterre, donne à ce sujet de curieux détails sur l’origine de la Banque d’Angleterre. C’était dans le feu de la lutte de Guillaume d’Orange contre Louis XIV. Le gouvernement anglais était à bout de ressources pour continuer la guerre. Déjà deux années auparavant, en 1692, il avait contracté le premier emprunt qui inaugura la dette nationale d’Angleterre; mais un emprunt nouveau paraissait impossible. Dans ce moment critique, un des lords de la trésorerie, le brillant et audacieux Charles Montagne, se ressouvint d’un projet de banque nationale présenté en 1691 par un aventurier écossais nommé Patterson. Il eut l’idée d’associer la création de la banque à l’emprunt nécessaire au gouvernement. Il prépara son plan avec un des négocians les plus opulens et les plus influens de la Cité, Michaël Godfrey, et la question de la fondation de la Banque d’Angleterre fut soumise au parlement sous la forme d’un bill destiné à établir « un nouveau droit de tonnage au profit des personnes qui avanceraient de l’argent pour la continuation de la guerre. » Le produit de ce droit de tonnage devait servir à payer l’intérêt à 8 pour 100 d’un emprunt de 1,200,000 livres sterling; mais, pour engager les capitalistes à prêter leur argent à des conditions qui paraissaient alors très modérées, Montague ajouta à son bill que les souscripteurs seraient incorporés, c’est le mot qui désigne en Angleterre la constitution de la société