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intérêts généraux qu’elle affectait, les ressources bornées des fortunes individuelles. De simples particuliers n’eussent pas osé ou n’eussent pas pu engager tous leurs capitaux dans de si vastes entreprises. L’association a suppléé à ce défaut de puissance ou d’audace des fortunes particulières. Ce qu’un seul ou quelques-uns n’eussent pas pu ou osé tenter a été entrepris et exécuté par des compagnies, c’est-à-dire par des associations de capitaux qui faisaient appel à tout le monde et acceptaient l’apport de chacun. L’application des grandes découvertes et les grandes entreprises industrielles de notre temps ont donc trouvé dans l’association, dans les compagnies, le moteur financier dont elles avaient besoin. En multipliant les compagnies, elles ont en même temps créé (on peut se servir de ce mot, car si la combinaison des compagnies date de deux siècles, elle n’avait jamais été appliquée dans de pareilles proportions), elles ont, disons-nous, créé une forme de propriété toute nouvelle : une propriété collective, divisée et mobilisée de façon à être à la portée des plus petites fortunes. Des compagnies formées pour l’exécution et l’exploitation des grandes entreprises ont en effet divisé leur capital, c’est-à-dire la propriété collective qu’elles créaient, en parts minimes, et ont représenté ces parts de propriété par un titre au porteur, l’action, titre anonyme qui peut se transmettre par la simple tradition manuelle, comme le billet de banque ou la monnaie. Ainsi, en même temps que nos sociétés modernes étaient dotées par l’application des sciences physiques à l’industrie d’une richesse si féconde et dont elles sont si avides, cette richesse, trouvant sa forme, se mettait à la portée de tout le monde, et associait et intéressait tout le monde à ses chances.

Les institutions de crédit et les entreprises de chemins de fer qui se sont établies dans le système des sociétés par actions peuvent donc, au premier aspect, être considérées à deux points de vue : au point de vue de leur utilité propre, des services qu’elles sont par leur nature appelées à rendre au commerce, à l’industrie, à l’agriculture, aux intérêts politiques des pays dans lesquels elles s’exécutent, et au point de vue de leur constitution financière, des avantages qu’elles offrent aux capitaux par l’association desquels elles se fondent, et des curieux caractères de cette nouvelle forme de propriété mobilisée qu’elles vulgarisent et mettent en circulation. Ces deux ordres d’intérêts, l’utilité générale des entreprises et la perspective de bénéfices particuliers qu’elles offrent, se stimulant pour ainsi dire l’un l’autre et agissant à l’envi sur le public, concourent à la multiplication et à la popularité des grandes affaires. On réclame au nom de l’industrie des institutions de crédit qui attirent et centralisent les capitaux inertes et les transmettent à la production, et en même