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capital existant. Si la fécondité de la terre était infinie, elle pourrait subvenir aux besoins indéfiniment accrus de la population, et les progrès du bien-être n’auraient pas de terme; mais si la population et ses besoins augmentaient dans une proportion plus rapide que les ressources que le travail peut obtenir des agens naturels, la misère du plus grand nombre serait éternelle et invincible. De même le capital représentant les avances que peut obtenir le travailleur et qui lui sont nécessaires pour arriver à l’achèvement de la production, le développement du travail, l’augmentation ou la diminution du bien-être dépendent de l’augmentation ou de la diminution de ces réserves de produits conservés et accumulés par l’épargne qui forment les capitaux. Telle est la double limite à laquelle est assujettie la condition du travail humain, quel que soit le régime social et politique qui règle la répartition des produits. Or tout ce qui recule cette limite, tout ce qui accroît la productivité des agens naturels et augmente l’accumulation des capitaux est une victoire remportée contre la misère, et doit devenir une conquête de bien-être pour le plus grand nombre. C’est justement dans cette voie que notre siècle semble appelé à servir le progrès de l’humanité avec une puissance et une rapidité inespérées. Tandis que les découvertes de la physique, de la chimie et de la mécanique étendent indéfiniment la productivité de la terre et des agens naturels, l’industrie, en s’appropriant ces découvertes, imprime à l’accumulation des capitaux, à la réserve où le travail puise les avances dont il a besoin pour multiplier ses produits, un accroissement prodigieux. Quels que soient les désordres et les abus qui s’y mêlent, un pareil mouvement doit avoir des influences bienfaisantes qu’il ne faut point méconnaître. Il hâte l’émancipation du travail, il élève vers le bien-être la condition des travailleurs, il permet d’aborder avec espoir les douloureux problèmes qui s’agitent autour de la misère. De pareils effets suffisent pour lui donner une incontestable grandeur aux yeux du philosophe, de l’homme d’état, nous dirions volontiers du socialiste, s’il était possible de dérouiller ce nom du discrédit que les faux systèmes et les passions politiques y ont attaché, et de n’en plus laisser subsister que la signification élevée et généreuse.

Cette appropriation des grandes découvertes scientifiques par l’industrie, qui a donné depuis cinquante ans au monde matériel une physionomie si nouvelle, a également amené dans les intérêts économiques des combinaisons qui ne s’étaient jamais présentées avec un tel caractère d’universalité. La création de ces puissans instrumens de circulation et de production enfantés par les découvertes modernes, les chemins de fer par exemple, dépassait, par la masse de capitaux qu’elle exigeait, les risques qui y étaient attachés et les