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ner, et un jour il voulut le faire fouetter. Fier encore de l’ancienne confiance de son maître, l’esclave résista. Le maître appela successivement tous les nègres de sa plantation pour s’emparer de lui et le lier à un arbre ; Dread, grâce à sa force, résista avec succès. Furieux, le planteur rentre chez lui et ressort un fusil à la main, — Où donc allez-vous maintenant ? lui dit sa femme, qui ignorait ce qui se passait. — À la chasse à l’écureuil, répond le mari tranquillement ; puis, avec le plus grand sang-froid du monde, il ajusta l’esclave et l’étendit mort à ses pieds, à la grande stupéfaction de tous les noirs, dont Dread avait été le surveillant aimé et respecté. C’est là ce que l’on peut appeler, si nous ne nous trompons, une insurrection contre soi-même et une révolte contre son propre pouvoir.

Rien donc n’est déréglé, immoral, anarchique comme le pouvoir du planteur ; c’est le pouvoir du caprice et de la colère. La cruauté légale et la tyrannie politique ne sont point son fait ; c’est l’overseer qui représente généralement ces dépravations, moins excusables encore peut-être que les précédentes, et qui joue sur le modeste théâtre d’une plantation, et parmi la triste population dont elle se compose, le rôle des impassibles instrumens du despotisme. L’overseer est impitoyable comme une machine ; il frappe comme le bourreau roue, marque ou décapite : il est cruel en vertu d’un mandat qu’il a accepté, et qu’il doit exécuter sous peine d’infidélité. Il est généralement très jaloux de son pouvoir, et le maître n’intervient jamais pour réprimer l’excès de son autorité. L’esclave n’a nul recours contre l’overseer, qui n’accepte ses fonctions qu’à la condition de les remplir sans avoir à répondre de ses actes. Les abus de pouvoir de l’overseer vont fort loin et quelquefois jusqu’à donner la mort, par conséquent jusqu’à porter atteinte au droit de propriété du maître ; mais il revendique assez naturellement d’ailleurs ce privilège exorbitant comme une nécessité politique et un moyen de gouvernement. M. Douglas a donné le portrait d’un de ces overseers, qui peut passer pour le type du génie. Il s’appelait Austin Gore et dirigeait une plantation du Maryland. Il eut un différend avec un jeune esclave nommé Denby, et se mit en devoir de le fouetter. Le jeune nègre s’enfuit et plongea dans une rivière qui coulait à quelque distance. Gore s’arma de son fusil, et somma l’esclave de sortir de l’eau. Denby refusa, et après trois sommations, Gore, au grand étonnement de tous les esclaves qui regardaient avec une inquiète curiosité et se demandaient si l’overseer aurait le courage d’exécuter sa menace, fit feu, et tua l’esclave. Le maître de la plantation, le colonel Lloyd, homme violent, mais incapable d’une cruauté commise de sang-froid, reprocha cet acte à son surveillant. Celui-ci répondit qu’il était nécessaire de faire un exemple, et que si de temps à autre on n’employait pas ces extrêmes