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jour cinquante coups de fouet sur le dos, avec le terrible et lourd fouet du planteur de coton (cotton planter’s whip).

« Le jour fixé, — quelques-uns disent le samedi, d’autres le lundi, mais ma narratrice m’a affirmé que c’était le samedi, jour du sabbat, — arriva enfin, et la multitude s’assembla ; la population de ce comté et des comtés environnans était très faible et ne dépassait pas cinq mille habitans sur un espace de trente milles carrés. Cependant le nombre des spectateurs présens s’élevait de dix à quinze mille, selon les différens récits. Tous les esclaves de cette région furent obligés de venir contempler ce grand exemple. L’esclave qui devait être exécuté était le mari d’une jeune femme et le père de deux petites filles, dont la présence fut aussi exigée ! La victime fut retirée de sa prison et conduite à un chêne près du palais du tribunal, où elle fut entourée d’une vaste foule de spectateurs, appelant à grands cris le feu qui devait la dévorer. On enleva à l’esclave l’unique vêtement dont il était revêtu, on lui attacha les mains avec une corde, et ainsi dépouillé, on le hissa à quelques pieds de terre, et on le suspendit à une forte branche d’arbre. Un feu très lent, fait de copeaux de pin très dur, fut allumé au-dessous de lui ; d’abord la fumée s’éleva et l’enveloppa, mais enfin claires et brillantes montèrent vivement les flammes, qui léchèrent ses membres, brûlèrent ses nerfs, entourèrent son corps d’un cercle de feu. Le malheureux suait dans son affreuse agonie, pour me servir des propres expressions de cette dame, de larges gouttes de sang ; mais avant qu’il fût absolument mort, et lorsqu’il était en proie aux dernières convulsions, les exécuteurs s’armèrent de leurs couteaux, qu’ils avaient auparavant attachés au bout de longues perches, et lui ouvrirent la poitrine et le ventre ! Alors un de ces démons, se servant d’une espèce d’hameçon attaché de la même manière que les couteaux, lui arracha le cœur ! un autre lui arracha le foie ! un troisième lui arracha les poumons ! et ces organes attachés au bout de leurs perches, ces monstres coururent à travers la foule en criant : « Ainsi sera traité l’esclave qui donne la mort à sa maîtresse. »

C’est là une scène africaine dans toute son horreur, exécutée par des blancs. Les deux races ont changé de rôle. Du reste, un des faits qui ressortent le mieux de tous les récits des voyageurs, une des démonstrations philosophiques que l’esclavage s’est le mieux chargé d’établir, c’est que la nature humaine est extrêmement corruptible. Parlez tant que vous voudrez de morale, de religion et de civilisation, élevez l’homme dans les meilleurs principes : si vous le soumettez à certaines influences contraires à ces principes, si vous le placez dans une certaine atmosphère malsaine, sa nature se transforme insensiblement. L’homme semble irrésistiblement porté à se dégrader, même sous l’action des influences les plus innocentes en elles-mêmes et quelquefois les plus morales. Ainsi tout le monde accordera que la paix est un des plus grands bienfaits dont puisse jouir l’humanité, et cependant laissez la population la plus civilisée, la plus morale, jouir trop longtemps de la sécurité ; la fibre virile s’amollira, l’énergie