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toute la vérité sur cette affaire ? Parlez librement, vous ne serez point trahi. » Et John, au grand étonnement du marchand du nord, raconta son histoire.

Ajoutez à ces difficultés l’inquisition que les états du sud ont établie pour empêcher les doctrines du nord de pénétrer chez eux, et cet aspect mystérieux que l’esclavage conserve encore n’aura plus rien d’inexplicable. La surveillance est tellement bien exercée, que les questions politiques relatives à l’esclavage, dont rendent compte cependant des milliers de journaux, n’ont un sens que pour les maîtres. M. Frédéric Douglas raconte qu’il fut très longtemps avant de savoir ce que signifiait le nom d’abolitioniste. L’esprit soupçonneux des hommes du sud, toujours en alerte, flaire un abolitioniste comme un limier de marchands d’esclaves flaire un nègre, et alors malheur à lui s’il est découvert ! Les moindres démarches suspectes, les moindres paroles imprudentes d’un homme du nord sont saisies, retenues, notées. Toute la ville est informée de sa présence, et la police suit son ombre. Ce que l’individu soupçonné a de mieux à faire, même lorsqu’il est innocent, c’est de décamper au plus vite, afin d’éviter l’emplumage et l’engoudronnement. M. Parsons cite un exemple fort plaisant de cet esprit soupçonneux du sud. Un des types les plus curieux des états du sud est le gambler, le joueur. Dans la Géorgie ou les Carolines, on est joueur, comme on est notaire, marchand ou planteur, sans cesser pour cela d’être un parfait gentleman. Or il arriva qu’un habile escroc se présenta, sous le nom de Smith, dans un des hôtels d’une ville du sud. Il venait du nord, il sortait furtivement, rentrait à une heure avancée de la nuit. Ses démarches parurent suspectes, et la police de la ville supposa qu’il se livrait à une propagande abolitioniste clandestine. Ainsi gêné dans l’exercice de sa profession, Smith jugea bon de s’évader. Grande rumeur dans la ville ; l’abolitioniste s’est échappé ! On se met à sa poursuite, et on le rattrape à quelque distance de la ville. — Vous allez nous suivre immédiatement, dit l’officier de police. — Mais qu’ai-je fait ? — Vous le savez mieux que personne, abominable abolitioniste. — Dieu sait si je suis un abolitioniste ; je suis un gambler, — Pas de mauvaise défaite, vous ne nous tromperez point. Fouillez-le, mes enfans. On déshabilla notre homme des pieds à la tête, pour savoir si ses bottes ou son chapeau ne contenaient aucun document suspect. Cette recherche n’amena aucun résultat, et cependant les visiteurs n’étaient pas encore satisfaits. — Parbleu, je vais vous prouver que je ne suis point un abolitioniste. Il me reste neuf shillings, et si vous voulez engager une partie, je vous montrerai mon savoir-faire. Tous les membres de l’escouade étant joueurs, sinon de profession, au moins d’habitude, la proposition fut acceptée. On