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à nous révéler toute la vérité. Encore ces choses se passent dans les villes, où l’opinion publique a une action toute puissante, où les esclaves sont mieux traités que dans toute autre partie du sud, où ils sont en apparence bien logés, bien vêtus, bien nourris, habitant des hôtels où circulent des milliers de voyageurs, où séjournent souvent des années entières des hommes du nord. Que sera-ce donc dans les plantations où règne le mystère le plus absolu, où, dès qu’un visiteur approche, les coups de fouet s’arrêtent tout naturellement jusqu’à ce qu’il se soit éloigné, où l’expérience a appris aux esclaves l’art de brider leur langue et la sagesse du silence ! Demandez à un esclave s’il est content, fût-il en la possession du plus cruel des maîtres : il vous répondra qu’il n’en veut pas changer, et qu’il redoute d’être vendu. La souffrance est généralement expansive ; mais ici tel est l’empire de la terreur, que vous pourriez savoir plus facilement la vérité de la bouche du maître que de la bouche de l’esclave. Dans un hôtel de Savannah, il y avait un esclave marié, nommé John, dont la femme habitait à une distance de vingt-cinq milles de la ville. Le pauvre John, qui l’aimait beaucoup, s’échappait souvent pour aller la visiter, quoiqu’il fût sûr d’être fouetté à son retour. Enfin son maître l’accoupla à une nouvelle femme, et lui ordonna de ne plus songer à l’ancienne. John refusa d’obéir, et supporta héroïquement les coups de fouet que lui valait sa résistance. Il est inutile de demander si cet esclave était content ; cependant il eût été presque impossible de lui faire avouer qu’il était malheureux. C’est l’expérience que M. Parsons, instruit de ces détails, fit passer sous les yeux d’un ami qui était presque converti à l’esclavage. « John, dit mon ami, je voudrais savoir si vous désirez être libre ? — Oh ! non, monsieur, répondit John vivement, je ne me soucie pas d’être libre en aucune façon. — Alors vous avez un bon maître, n’est-il pas vrai, John ? — Oui, j’ai un bon maître, et je ne voudrais pas être vendu. — Ainsi vous aimez mieux rester avec votre maître que d’être libre ou d’aller travailler ailleurs, dites-vous ? — J’aime autant rester ici, répondit John, parce qu’on ne sait pas dans quelles mains on peut tomber. — Et maintenant, dit le gentleman en se tournant de mon côté, que pensez-vous du mécontentement des esclaves ? — Je pense que John vous a trompé, répondis-je. — Comment cela ? — Êtes-vous bien convaincu qu’il est content et heureux ? — Certainement, je n’en doute pas. — C’est là votre erreur, monsieur. John n’ose pas vous détromper. Il m’a fait ses confidences il y a cpielques jours, et il m’a raconté tous ses malheurs, tous ses chagrins et toutes ses souffrances. Et maintenant, John, dis-je, voulezvous exposer les faits relatifs au traitement que vous souffrez à cause de votre femme, afin que mon ami, qui est aussi le vôtre, connaisse