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Il fait appel à l’opinion publique ; les livres sur l’esclavage se multiplient et viennent jeter quelque lumière sur cette face sombre de la société américaine. Il ne faut pas chercher dans ces livres un intérêt littéraire, qu’ils ont à peine pour la plupart. Aucun d’eux n’a encore dépassé en émotions et en vigueur les bonnes parties de l’Oncle Tom. Ils ont un intérêt plus grand qu’un intérêt de phrases, de style et de composition : ils roulent sur la question morale la plus importante peut-être de ce temps-ci, et c’est à ce titre qu’ils méritent d’être lus. Ils sont quelques-unes des pièces d’un dossier déjà énormément chargé. Si l’on ne cherchait que l’émotion et le plaisir littéraire, la plus recommandable peut-être de ces diverses publications serait sans contredit Ida May, par mistress Mary Langdon. Ida May n’a que le tort de venir après l’Oncle Tom. Ce livre fait appel aux mêmes sentimens et aux mêmes affections : il est écrit pour des femmes, pour un public de mères, de filles et d’épouses ; il a cependant son originalité très marquée malgré cette ressemblance fondamentale. Mistress Stowe avait fait appel au cœur des Américains, en se bornant pour ainsi dire à établir une analogie naturelle entre les sentimens de la race blanche et les sentimens de la race noire. Elle démontrait que les mêmes affections qui arrachaient les larmes de la femme blanche agissaient avec la même violence sur les négresses et les mulâtresses. « Élisa pleura lorsqu’elle apprit que son enfant était vendu ; absolument comme vous pleurâtes, madame, lorsque vous perdîtes votre enfant nouveau-né, comme vous pleureriez si on s’avisait d’enlever votre enfant. — George grinça des dents lorsqu’il apprit le sort de sa femme avec autant de rage que vous, monsieur, si votre femme était obligée de fuir pour sauver sa vie. » C’est de cette démonstration de l’identité de sentiment chez les deux races, de ce parallèle continuel entre les affections des maîtres et des esclaves, que découle la grande source d’émotion de l’Oncle Tom. Mistress Langdon a voulu frapper plus fort et plus directement. Ce n’est plus l’enfant de la quarteronne Élisa qui souffre, c’est l’enfant d’un homme libre, d’un blanc, d’un citoyen. — Ida May est la navrante odyssée d’une jeune fille blanche enlevée par des marchands d’esclaves et vendue sur le marché de la Nouvelle-Orléans. Tous les malheurs qui peuvent fondre sur la tête d’une esclave, mistress Langdon les a accumulés sur la tête de la jeune Ida May. Ainsi ce ne sont plus les sentimens de sympathie que l’esclavage blesse, peuvent dire les mères américaines, ce sont vos affections mêmes qu’il attaque, et se défendre contre lui n’est pas seulement un acte de justice, c’est un acte de légitime défense. — Tel est l’aveu que mistress Langdon a voulu arracher à son public féminin ; malheureusement la donnée de son roman est moins vraie que celle de l’Oncle Tom, et la