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ruines. C’était une âme d’une pureté incorruptible. Jamais on ne vit plus beau vieillard ni plus majestueux. Lorsque, dans la splendeur de son église orientale, il apparaissait derrière son voile d’or avec ses cheveux blancs tombant sur ses épaules, le peuple le prenait pour le saint patron de la Moldavie. Benjamin ne connaissait du monde et de la diplomatie moderne qu’Homère et saint Basile. Dans sa simplicité odysséenne, il ne laissait pas de discerner fort bien tout ce qui pouvait convenir à la régénération de son peuple. C’est sous son manteau que passèrent toutes les réformes introduites dans les écoles, c’est lui qui ramena la langue nationale dans le clergé. Il offrit sa petite imprimerie grossière aux écrivains novateurs, et, si je ne me trompe, au premier journal qui fut fondé. Un jour il entendit parler d’un théâtre national ; il voulut en avoir les prémices. On composa une pièce qui fut représentée pour lui. Ce spectacle dans une chambre, entre deux bougies, lui parut admirable, et c’est sous son patronage que fut inauguré le théâtre, comme au temps des mystères.

Dieu sait jusqu’où, dans sa sainte ardeur de régénération, il eût conduit le clergé moldave, si la Russie n’y eût mis bon ordre. On apprit un jour que Benjamin, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, allait être arraché de son siège archiépiscopal, où depuis cinquante ans il était adoré. Cette nouvelle faillit soulever le peuple le plus doux de la terre. Il fallut enlever le saint vieillard au milieu de la nuit ; le gouvernement du tsar le jeta dans le monastère de Slatina, où il ne tarda pas à mourir, — exemple offert à quiconque chercherait, au nom de l’église, à réveiller un souffle de vie nationale dans les provinces.

Que le lecteur me pardonne si j’ajoute, un peu hors de propos, une petite histoire qui a le mérite de faire connaître à merveille et Benjamin et le temps où il vivait. C’était en 1838. Un brigand fameux par ses meurtres, Piétraro, désolait le pays. Il se présente avec sa bande à la porte d’un château où vivait une grande dame, la princesse C… On lui refuse l’entrée, il livre un assaut en règle ; la maîtresse du logis résiste vaillamment à la tête de ses domestiques. Après trois jours, Piétraro demande à parlementer. On l’introduit ; la dame moldave le reçoit seule dans son salon, assise devant une table sur laquelle étaient deux pistolets armés. Frappé de ce sang-froid et peut-être aussi las de son métier, Piétraro avoue qu’il est prêt à y renoncer, si on lui assure l’impunité. La princesse adresse le brigand repenti au métropolitain Benjamin. Benjamin le reçoit chez lui, le fortifie, le console ; pour le mieux réhabiliter, il lui livre la garde de son palais, de sa personne, de ses trésors ; c’est Piétraro qui veille pendant la nuit à la porte de sa chambre. Tout le monde