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rer en sa faveur de pareilles interventions, il sent qu’il ne devra son salut qu’à lui-même, et cherche l’appui peu moral de la violence. Veut-on avoir un exemple frappant de ce triomphe du sud et de cet état d’impuissance du nord : un nouveau parti se forme, connu sous le nom de know-nothing, et composé d’hommes frappés des nombreux dangers qui menacent la république. Il commence par déclarer qu’il ne reconnaît qu’une république une et indivisible, qu’il ne connaît ni nord, ni sud, ni est, ni ouest. Ce parti, après s’être recruté sourdement, s’être constitué en secret, juge que le moment de se déclarer officiellement est venu. Une convention de tous les knownothing de l’Union s’assemble à Philadelphie, et dès les premières séances, l’anarchie s’introduit dans le sein de ce parti, constitué pour s’opposer à l’anarchie. Aussitôt qu’il fut question de formuler le credo de la secte relativement à l’esclavage, le schisme éclata, et l’on vit apparaître des know-nothing abolitionistes, des know-nothing partisans de l’esclavage, et des know-nothing partisans du compromis. C’est assez dire combien les tentatives de conciliation sont impuissantes.

Nous voudrions partager les illusions de ceux qui croient à la possibilité de l’extinction de l’esclavage aux États-Unis, et qui l’attendent du progrès du temps ; nous avons partagé cette illusion, à laquelle il faudrait enfin renoncer. Outre les montagnes de préjugés qui s’opposent en Amérique à l’émancipation des noirs, je remarque que chacun des progrès généraux que la race blanche opère dans le monde et chacun des progrès particuliers des États-Unis nouent un peu plus fortement encore ce nœud gordien, que personne ne voudrait couper avec l’épée, et qui ne peut en effet être coupé avec l’épée. Chacun des phénomènes nouveaux qui viennent témoigner de la force de vie qui anime les États-Unis favorise l’esclavage, au lieu de lui porter atteinte. Ainsi, pour prendre un exemple, il n’est point douteux que l’esclavage eût été aboli dans le premier quart de ce siècle, si l’industrie n’avait accompli les progrès dont nous sommes si fiers. Tout favorisait l’émancipation : l’exemple du nord, qui venait d’émanciper ses esclaves, le souvenir récent de la révolution, l’esprit du siècle, les échos de la révolution française. Les généreuses pensées qui avaient animé les compagnons de Washington faisaient encore vibrer les cœurs, et la génération qui avait combattu les armées anglaises n’avait pas encore disparu. Le vieil esprit puritain, qui avait condamné sans pitié la race de Cham, avait fait place à l’esprit d’utilitarisme philanthropique et de générosité calculatrice dont Franklin fut le type achevé. On avait pesé les avantages et les inconvéniens de l’esclavage, ses profits et ses périls, et l’on était arrivé à peu près à la conclusion que ses bénéfices ne valaient pas la