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l’officier mort à ses pieds et blessa grièvement l’un des soldats. Au bruit de l’explosion, toute la troupe se précipita dans la chambre ; mais l’attaque se borna pour le moment à cette invasion, car tous attendaient des ordres, et l’officier, qui seul avait le droit d’en donner, n’était plus qu’un cadavre. Profitant de ce moment d’hésitation, le bey saisit ses seconds pistolets, et les déchargea presque à bout portant sur la troupe, dont il éclaircit ainsi les rangs ; puis, s’emparant de sa carabine, il s’écria : — Que l’on m’ouvre le passage, ou je fais feu ! — Les soldats, ainsi menacés, perdirent le sentiment de leur responsabilité pour n’obéir qu’à celui plus impérieux du salut. — Feu ! feu ! s’écrièrent plusieurs voix à la fois, et la foule qui encombrait le fond de l’appartement se fendit pour former deux colonnes entre lesquelles le bey avait à se frayer un passage, mais qui, en se rapprochant tout à coup, devaient forcément l’entourer et le prendre.

Aucune détonation n’avait répondu cependant à l’appel spontané des soldats, et cela par une raison bien simple. Les ordres du pacha portaient que l’on eût à s’emparer du bey vivant et en bonne santé, et le défunt officier, redoutant, je ne sais trop pourquoi, l’impétueuse ardeur de sa troupe, avait pris la précaution de décharger préalablement ses armes. Méhémed-Bey ne courait d’autre danger que celui d’être écrasé par le nombre, et pour peu que le combat durât encore quelques instans, ce nombre allait être fort réduit. Se tournant d’abord vers la colonne de gauche, il tira un coup de sa carabine, qui la culbuta, plusieurs soldats ayant été mortellement blessés, d’autres entraînés dans la chute des premiers ; puis, faisant un pas en avant et tenant la colonne de droite en respect avec son tromblon, il allait franchir la porte, lorsqu’un des soldats renversés, qui n’avait aucun mal, se leva subitement et s’élança avec légèreté sur le dos du bey, qui chancela sous ce choc imprévu. Ce moment suffit pour enhardir le reste de la troupe, qui se précipita aussitôt sur l’ennemi, qu’il était peut-être plus dangereux d’attaquer à distance que corps à corps. Le tromblon de Méhémed lui étant désormais inutile, il le jeta loin de lui, et, armé seulement de son coutelas et de son poignard, il mit encore plusieurs soldats hors de combat. Tout à coup un lazo, lancé avec une merveilleuse justesse, vint réduire à l’immobilité le héros. Les soldats se précipitèrent aussitôt sur Méhémed, et n’eurent pas de peine à le terrasser. C’en était fait, le Kurde était prisonnier. Mais qui donc avait si habilement jeté le lazo ? Méhémed n’avait point eu de peine à reconnaître son perfide vainqueur dans la Circassienne, qu’il avait vue se glisser au milieu des soldats et préparer la corde fatale. Et qui avait essayé de couper le lazo d’une main malheureusement trop faible ?