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par cette promesse, ou mon désespoir ne connaîtra plus de bornes.

— Pourquoi exiger une promesse que Méhémed ne pourrait peut-être pas tenir sans danger ? observa Habibé. Tu lui as exprimé ton désir, et il ne peut y être insensible. Aie confiance dans son amour, et n’exige pas de promesse à ce sujet. S’il peut venir sans danger, il viendra, n’en doute pas, que cela te suffise.

— Non, cela ne me suffit pas. Tant de choses peuvent le retenir, le distraire, le détourner d’ici ! Comment supporter cette incertitude ? Non, il me faut une promesse ; une promesse peut seule m’aider à traverser les jours qui me séparent encore de ce jour solennel et à jamais mémorable. Promets, oh ! de grâce ! promets ; me promets-tu ?

— C’est bon, c’est bon, je viendrai, je te le promets, dit enfin le bey, légèrement impatienté.

Satisfaite de sa victoire, Kadja voulut encore se venger sur Habibé des obstacles qu’elle avait tenté de lui opposer. Profitant d’un moment où Habibé s’était éloignée, elle raconta au bey ce qui s’était passé entre sa rivale et les voyageurs francs. — Pourquoi cette insistance à t’éloigner ? dit-elle en finissant son récit. Oh ! je crains que ce dix du ramazan ne soit aussi un grand jour pour Habibé et qu’elle ne l’ait choisi pour nous trahir ; je dis nous, seigneur, car je ne puis me séparer de toi, même dans ma pensée.

Méhémed ouvrit de grands yeux, mais son noble cœur se refusa à partager les soupçons qu’avait exprimés Kadja. — Si Habibé voulait me tromper, se dit-il, elle feindrait de m’aimer, elle chercherait à endormir ainsi ma défiance. Non, Habibé n’a pas d’amour pour moi, mais son amitié du moins m’est acquise, et Dieu me garde de la soupçonner ! — Tout en se parlant ainsi, Méhémed se promit bien néanmoins de tenir la parole donnée à Kadja et de revenir le dixième jour du mois suivant.

Pendant que Kadja employait à irriter le prince contre Habibé toutes les ressources de la perfidie féminine, Habibé n’était pas de son côté restée inactive. Celui qui l’aurait épiée en ce moment l’aurait vue se glisser dans une des chambres du harem où la belle Kadja conservait les mille objets nécessaires à sa toilette. Elle s’emparait d’une petite boîte contenant une pommade noirâtre dont les femmes turques se servent pour donner aux fils argentés de leur chevelure le noir et le brillant de l’ébène. Quand elle revint dans la chambre commune, elle trouva le bey déjà endormi sur une pile de coussins et Kadja près de s’assoupir. Habibé attendit patiemment que tout sommeillât autour d’elle ; puis, certaine de n’être pas vue, elle se glissa jusqu’au chevet de son maître, et lui passa à plusieurs reprises la main sur les cheveux. Cela fait, elle regagna sa couche, un peu plus tranquille désormais sur le sort du bey, dont le signale-