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droite un geste qui signifiait : Mesdames, je vous salue. Puis il s’assit auprès d’Habibé, en faisant un autre geste qui signifiait : Mesdames, vous pouvez suivre mon exemple si cela vous convient. Que cela leur convînt ou non, aucune de ces femmes n’osa profiter de la permission. L’étiquette prescrivait d’autres mouvemens. Chacune s’approcha donc du seigneur, prit le bord de sa pelisse, l’appuya sur son front, toucha de la main le bout de ses doigts, porta ensuite la main honorée de cet attouchement sur son cœur, sur ses lèvres et sur sa tête, s’inclina jusqu’à terre, et marcha à reculons jusqu’au coussin qui la reçut. Deux parmi ces femmes trébuchèrent dans cette reculade, et s’assirent un peu plus tôt qu’elles ne l’avaient décidé. Si la figure du bey avait été moins soucieuse, de bruyans éclats de gaieté auraient accueilli ces grotesques soubresauts ; mais le bey était resté impassible, et tout se borna à quelques rires promptement étouffés.

J’ai oublié de parler des compagnons de Méhémed-Bey, car il n’était pas entré seul dans son harem. Son vieux père l’accompagnait, un beau vieillard, dont l’unique épouse, paralysée par l’âge, ne quittait plus son matelas. Il y avait aussi un frère du vieillard, puis un frère de Méhémed, puis deux cousins, et enfin un garçon âgé de douze ans, le fils de Fatma et de Méhémed, qui commençait à suivre son père dans ses courses les moins périlleuses. Tous ces personnages du sexe masculin avaient libre accès dans le harem, car les proches parens ne sont pas toujours soumis aux formalités qui s’opposent, en Turquie, aux relations familières entre l’étranger et la femme musulmane. D’ailleurs chacun de ces hommes avait ou avait eu sa compagne ou ses compagnes dans ce même harem, et dès lors le quartier réservé n’avait plus pour eux de barrière ; puis enfin Méhémed-Bey était Kurde et non Turc, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Notre prince était toujours auprès d’Habibé, qu’il entretenait à voix basse. Les habitantes des harems ont en certaines occasions un tact exquis, et toutes comprirent que leur présence était au moins superflue. Aussi, une à une, deux à deux, elles s’inclinèrent, portèrent la main à terre d’abord, sur leur cœur et à leur front ensuite, et se retirèrent. Les hommes suivirent leur exemple, à l’exception pourtant du vieux père, qui, assis sur un coussin auprès de la cheminée et fumant nonchalamment sa pipe, semblait absorbé dans de tristes pensées.

Resté seul ou presque seul avec Habibé, Méhémed-Bey lui prit la main et la força doucement à s’asseoir à ses côtés, puis il lui annonça qu’il lui apportait des présens. Habibé ne répondit pas.

— Cela me rend tout triste de te voir toujours si simplement vêtue, lui dit Méhémed ; je t’ai encore apporté de riches étoffes, et