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diverses mesures, envoyé des ordres aux différens chefs secondaires ; enfin tout était préparé pour ouvrir la campagne. Ce fut en songeant à l’avenir qui s’ouvrait devant lui que Méhémed-Bey reprit le chemin de son harem, où nous l’avons devancé, et où s’échangeaient entre les compagnes du prince des propos qu’il nous sera maintenant aisé de comprendre.

— Ah ! qu’il me tarde de partir pour la montagne ! vociférait la ronde Fatma. Comme nous allons nous amuser ! comme nous danserons ! comme nous chanterons ! — Et elle battait des mains pour donner cours à sa joie.

— Nous devrions y être déjà, observa la grave Actié ; nous sommes à la fin d’avril, et la chaleur est grande.

— Nous devrions y être sans doute, dit à son tour Kadja ; mais si j’en crois mes pressentimens…

— Au diable tes pressentimens ! s’écria Fatma ; que vas-tu nous annoncer à cette heure ? que la montagne s’écroulera, que nos moutons crèveront, et autres gentillesses ! Tu m’ennuies avec tes pressentimens de malheur. Si tu pressentais quelque chose d’heureux une fois dans ta vie, et ne fût-ce que pour changer, passe encore, mais…

— Je vois bien que je t’ennuie, interrompit Kadja, non sans aigreur ; mais si je te disais tout ce qui nous attend !

— L’entendez-vous ? reprit Fatma ; voilà l’oiseau de mauvais augure qui se met à chanter !

Kadja allait riposter, mais en ce moment un bruit d’armes et de chevaux retentit dans la cour. — Méhémed-Bey n’est pas loin, s’écria la Circassienne en plaçant sa main sur son cœur, comme pour indiquer le lieu d’où lui venait cet avertissement. Personne n’eut cependant le loisir de remarquer ni ce geste ni la prétention qu’il exprimait, car le chef des eunuques se précipita dans l’appartement en criant : Le bey ! le bey ! en place ! Et toutes les femmes furent aussitôt sur pied. Un grand silence succéda aux causeries bruyantes. Les femmes se rangèrent sur deux lignes, les maîtresses devant et les esclaves derrière, tandis que les enfans couraient se cacher sous les jupons et les voiles de leurs mères respectives, — évolution compliquée, qui ne s’exécuta pas sans le secours de plusieurs soufflets vertement distribués. L’ordre et le silence étant enfin rétablis, le chiaja (gardien du harem), qui se tenait à la porte, prêt, si cela devenait nécessaire, à aider par quelque coup de poing au rétablissement des bonnes manières, fit signe à son seigneur que tout était bien, et le bey, qui avait ralenti sa marche pour laisser aux flots le temps de s’écouler, parut enfin sur le seuil de l’appartement. Une légère ondulation, résultat de l’émotion générale, se manifestait sur la ligne de draperies flottantes qui révélaient les formes de ces houris terrestres. Méhémed-Bey traversa l’appartement en faisant de la main