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suite. Quand ils avaient mis le pied dans le pays, les Tartares oubliaient à leur tour d’en sortir, dévastant tout, ruinant tout, enlevant des villages, des villes entières, qu’ils allaient vendre aux Russes sur le marché de Constantinople.

Deux fois les Slaves ont empêché le développement de l’état roumain, d’abord par les Polonais, ensuite par les Russes ; mais il y eut une grande différence entre les uns et les autres. Tant que les Slaves attaquèrent l’état roumain par la main des Polonais catholiques, celui-ci opposa une résistance éclatante à des hommes d’un autre rite. Au contraire, quand ce sont les Moscovites qui se sont montrés avec l’appât de l’église grecque nationale, ils ont eu aussitôt leurs intelligences dans la place ; l’idée même de la résistance a manqué. On sait que, de nos jours encore, la Russie faisait précéder chacune de ses interventions par des reliques nouvelles qu’on venait tout justement de découvrir. Elle avait presque toujours sous la main quelque saint orthodoxe qui se révélait à propos, et qu’elle députait en poste au monastère de Niamtzo.

Avec Pierre le Grand, au bord du Pruth, commence le système de protection de la Russie ; il s’appela d’abord le parti chrétien. Le prince Démétrius Cantémir se jette dans les bras du tsar, et son pays expie chèrement la faute d’avoir salué si vite le soleil levant de la Russie ; car celle-ci ne put ni saisir les provinces, ni empêcher qu’un autre les gardât. Son ambition frustrée eut pour résultat d’achever de perdre ceux qu’elle convoitait sans avoir la force de les prendre. Quant à la Porte, voyant bien que ces provinces n’étaient plus qu’une possession précaire, elle résolut sur-le-champ d’en épuiser la substance, et elle coupa l’arbre par le pied.

Le lecteur ne m’obligera pas, je l’espère, de le traîner pendant un siècle et demi dans les horreurs du gouvernement du Phanar. On entend par là le système qui consistait à faire régir les provinces moldo-valaques par des étrangers grecs, dont la principale charge était de tirer du peuple tout ce qu’il pouvait rendre d’or et de sueur à son maître. Il est certain que la Porte a découvert là un système admirable pour éventrer la poule aux œufs d’or. Revêtu du nom de prince, chacun des fermiers arrivait, traînant après lui son cortège de créanciers dont il faisait ses nobles ; tous ensemble fondaient sur leur proie ; le plus obéré de ces souverains était réputé le meilleur. L’histoire de ces temps du xviiie siècle a la monotonie d’une chronique du moyen âge, qui se borne à rappeler la grêle, la tempête ou la peste. Quand le prince s’était enrichi de la misère de tous (trois ou quatre ans suffisaient aisément pour cela), la Porte le rappelait, le déposait, lui faisait rendre gorge ; après l’avoir mis à peu près à nu, elle lui rendait le gouvernement pour qu’il recom-