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doctrines révolutionnaires se croyaient à peu près sûres du triomphe. C’est justement l’heure où la réaction des idées religieuses a fait le plus de chemin, et où s’est ouverte une lutte nouvelle qui a ses émotions, ses péripéties, ses polémiques ardentes. C’est là peut-être le trait le plus saillant du moment actuel. Le fait est que les questions religieuses ont retrouvé toute leur importance, et sont discutées avec plus de vivacité que jamais, non-seulement en France, mais dans bien d’autres pays, où les incidens ne manquent pas pour rallumer le conflit. On l’a vu assez récemment à l’occasion du concordat signé entre l’Autriche et le saint-siège, — concordat qui touche à quelques-uns des côtés les plus épineux du gouvernement de l’église et de la politique contemporaine. Le cabinet de Vienne s’était préparé à cette mesure en abrogeant en grande partie, il y a quelques années déjà, la législation établie par Joseph II, presque à la veille de la révolution française. Supprimer ces lois faites sans le concours de Rome et maintenues malgré ses protestations, c’était indiquer évidemment l’intention de s’entendre avec Rome. Si l’on se souvient d’ailleurs que les réformes autocratiques de Joseph II, à côté de bien des choses qui avaient pour elles l’avenir, contenaient des violences que les révolutionnaires les plus ardens n’ont eu qu’à imiter, on ne peut s’étonner que l’empereur François-Joseph ait préféré régler ce vieux différend par une voie d’équité et de conciliation. Comment se fait-il cependant que le concordat autrichien, dès qu’il a été connu, ait laissé partout une impression si vive, une impression d’inquiétude et d’étonnement ? C’est qu’il répond peu sans doute à cet idéal, si ardemment poursuivi, d’une alliance juste et vraie entre la pensée religieuse et l’esprit des sociétés modernes ; c’est qu’il a paru peut-être soulever encore plus d’inconvéniens qu’il ne tranchait de difficultés ; c’est qu’en un mot on y a vu moins une solution qu’une source de complications nouvelles.

Rien n’est plus facile à critiquer, à un point de vue absolu, que le principe des concordats, et rien n’est moins aisé que de vivre pratiquement sans eux dans des pays vieux comme les nôtres, où il y a tant d’élémens divers, tant de traditions à concilier et à faire marcher ensemble. C’est d’habitude, comme on sait, à la suite de révolutions ou de longs démêlés que surviennent les concordats, comme un acte de pacification qui met fin à une guerre dont la société tout entière est la première à souffrir. Il en fut ainsi en France au commencement de ce siècle. Tout avait disparu pendant la révolution. À peine un gouvernement réparateur est-il né, une des premières pensées est celle d’une restauration religieuse, et le concordat de 1801 est signé. On a essayé d’y toucher depuis, notamment en 1817 ; il a fallu y renoncer, et le concordat de 1801 subsiste encore après plus d’un demi-siècle de durée. Quelles en ont été les conséquences ? La paix des consciences a été assurée. Les rapports de l’église et de l’état n’ont point été toujours sans nuages sans doute ; leur antagonisme pourtant n’a jamais dégénéré en rupture ni même en hostilités bien dangereuses. Lorsqu’il y a des luttes partout, il n’y en a point de sérieuses en France. Il y a plus, sous ce régime s’est formé le clergé le plus éclairé et le plus digne dans son ensemble qui existe peut-être dans le monde catholique. Les idées religieuses se sont réveillées plus qu’on ne le pensait, et, par une singularité bizarre, c’est la France, devenue un moment républicaine, qui a été la première à