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les ressources de l’état, assez longtemps pour donner à ses alliés ou à ses protecteurs le temps de se déclarer. Dès-lors ce qui s’est fait en Belgique, où l’on a constitué une nation au milieu de trois ou quatre autres qui la convoitent, éclairerait ce qui est le plus immédiatement praticable en Roumanie. La Belgique, si elle était attaquée, ne songerait pas à se défendre en rase campagne : elle abandonnerait à l’ennemi ses plaines, ses villes ouvertes ; elle se retrancherait tout entière avec son armée dans Anvers, d’où elle appellerait le secours des alliés qui lui resteraient fidèles, parce qu’ils auraient intérêt à la défendre. C’est donc un Anvers moldo-valaque qu’il faudrait construire. On le couvrirait à peu de frais de forts avancés assez nombreux pour assurer, comme on le peut toujours, à la défense une durée de quelques mois. Ne vient-on pas de voir Silistrie arrêter court la Russie pendant toute une campagne ? Dans cet Anvers moldo-valaque, qui serait placé nécessairement à portée du Danube, sinon au bord du fleuve même, de manière à tendre la main à l’Occident, se réfugieraient le gouvernement et l’armée ; tout ce qui représente la nationalité se concentrerait sur ce point. Cependant le drapeau resterait debout ; l’Europe, si tant est que ce soit son intention, aurait le temps d’arriver au canon de détresse. C’est toujours un grand spectacle que celui d’une nation qui lutte pour son existence. Ici l’intérêt serait doublé, parce qu’il s’agirait d’une nation qui, à peine sauvée, serait menacée d’être replongée dans le gouffre. La nouveauté de cette situation, l’imminence de la crise agiterait les esprits les plus froids. On craindrait de s’exposer à cet ébranlement. Dans tous les cas, si l’on savait que le nouvel état roumain ne peut être emporté et dévoré d’un seul coup, on serait tenté de le respecter : les ambitions seraient retenues par des craintes mutuelles.

Je suppose en outre que l’on se proposât de constituer un état auquel il ne serait pas nécessaire de remettre continuellement la main ; je dis que dans ce cas rien ne pourrait dispenser de l’enraciner plus fortement qu’il ne l’est sur le Danube, et ici l’histoire parle bien haut. Toutes les guerres heureuses ou malheureuses des Roumains dans les temps de leur indépendance ont pivoté sur les deux places de Kilia et d’Ackerman, situées à l’embouchure du Danube et du Dniester. C’est par là que toute agression a commencé, soit d’un côté soit de l’autre. Quand les Moldaves avaient perdu ces places, ils ne respiraient pas qu’ils ne les eussent reprises. Pourquoi cela ? Parce qu’elles étaient les portes des provinces, parce qu’avec le cours des deux fleuves elles ouvraient ou fermaient l’entrée dans le pays. La grande différence de l’époque d’Étienne le Grand et de celle de Michel le Brave, c’est que le premier posséda ces positions et que l’autre les perdit ; ce qui fit que, malgré ses prodiges conti-