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qu’il s’agit de constituer le nouvel état, et au lieu de chercher quel moyen il y a de résoudre le problème, il faut se garder de dire que la Roumanie n’est possible qu’avec toutes les conditions indiquées ci-dessus ; car chaque état a des brèches à réparer, et si l’on rejetait comme indigne d’examen tout établissement d’état qui ne serait pas tout d’abord en relation parfaite avec ce que demande la nature ou la parenté des races, il faudrait commencer par rejeter, sans plus de réflexion, la France sans le Rhin, l’Allemagne sans l’Alsace, la Suisse sans le Tyrol, l’Espagne sans Gibraltar, l’Italie sans la Valteline et sans la Corse. Ne faites pas au monde l’extrême plaisir de lui demander l’impossible pour qu’il s’autorise à vous refuser le nécessaire.

Si le grand Étienne reparaissait aujourd’hui, que ferait-il ? Il aurait par lui-même les bras liés, car on lui a ôté son champ de bataille en prenant à ses descendans la Bucovine pour la donner à l’Autriche. Il n’aurait plus sa capitale de Sucziava pour s’y retrancher à l’extrémité de ses états, y attendre l’ennemi usé par de longues marches, par la famine ou même par la victoire. Il ne tiendrait plus les défilés de la Forêt-Rouge pour arrêter ses alliés, pires que des ennemis déclarés. Il n’aurait plus devant lui dans la Bessarabie sa frontière du Dniester, qu’on a donnée à la Russie. Il chercherait en vain sa place de Roman fortifiée sur le Sereth. Il verrait de toutes parts son pays ouvert à l’ennemi le plus voisin ; mais, d’un autre côté, il trouverait ses peuples plus unis d’esprit et de cœur qu’ils n’ont été jamais, la Turquie chancelante, la Pologne disparue, la Hongrie effacée, les deux dernières remplacées par la Russie et par l’Autriche, et peut-être qu’entre les divisions de ces états nouveaux, qui ont gardé les anciennes jalousies, il ne désespérerait pas entièrement de la renaissance de sa nation, car il pourrait s’appuyer sur les intérêts de l’Occident, qui lui étaient restés à peu près inconnus ; puis, après avoir fait l’épreuve de ce qu’il peut attendre de l’amitié des Slaves et des Allemands, il serait conduit, comme les Roumains de nos jours, à mettre son recours dans les peuples latins de l’Occident. Il avait, par la Moldavie seule, une armée de 70 000 à 100 000 hommes ; un siècle après, sous Movila, elle était réduite à 40 000 ; au temps de Cantémir, elle n’était plus que de 8 000. Ce ne serait peut-être pas être trop exigeant que de la ramener au chiffre de 100 000 hommes avec l’accession de la Valachie. D’ailleurs il ne s’agirait plus d’une guerre agressive, et peut-être que l’art moderne, qui a su rendre les plaines aussi imprenables que les montagnes, conviendrait à cette situation nouvelle, car le système de défense serait aisément indiqué par la force des choses. De quoi s’agirait-il pour le défenseur de la nationalité roumaine ? De se faire une forte place de refuge où il pût s’abriter en sûreté, lui et toutes