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Avant de publier l’Histoire du dix-neuvième siècle, dont le premier volume a paru l’année dernière, M. Gervinus en avait donné l’introduction en 1853. Cette introduction n’est guère qu’un tableau d’histoire tel qu’il s’en trouve partout, un résumé des différentes phases de la vie politique en Europe depuis la fin du moyen âge. Incomplet sur bien des points, ce résumé se recommande par une foi vive dans le mouvement irrésistible de la société moderne, dans le triomphe définitif des principes de justice et de liberté : on y trouve aussi les préjugés de l’orgueil germanique, une façon hautaine d’opposer les races tudesques aux races romanes, une malveillance déclarée contre la France ; mais encore une fois n’y cherchez pas de vues nouvelles. Qui croirait que ces pages, dont les défauts sont purement littéraires, aient pu exciter l’indignation de certains gouvernemens de l’Allemagne ? M. Gervinus semble dire en terminant que l’ère des grands hommes est passée, que le progrès ne viendra plus d’en haut comme autrefois, que c’est aux peuples de se secourir eux-mêmes. Il avait dit cela vingt fois dans ses livres ; il l’avait dit dans ses Élémens de l’Histoire, il l’avait dit surtout dans son Histoire de la Poésie allemande, lorsqu’il montrait le grand mouvement démocratique du XIVe et du XVe siècle succédant à l’aristocratie littéraire du moyen âge et préparant la réforme ; on vit là une menace, une atteinte au régime constitutionnel, et le livre de M. Gervinus fut poursuivi.

Je ne raconterai pas ce ridicule procès ; mentionnons seulement la réponse que M. Gervinus adressait à ses accusateurs en publiant la seconde édition de son Histoire de la Poésie allemande. Ces pages sont dédiées aux frères Grimm et à M. Dahlmann, qui plusieurs fois, à ce qu’il paraît, l’avaient détourné de la vie politique pour le ra-ener aux purs travaux de la science. « Chers amis, leur dit-il avec un accent de bonne et cordiale humeur qu’on voudrait lui voir plus souvent, — quelle est donc la démoniaque influence qui plane sur notre littérature du XVIe siècle ? En 1837, à Goettingue, j’achevais à peine de traiter ce grand sujet, quand un coup d’état inattendu me frappa en pleine poitrine ; aujourd’hui je viens de refaire, à l’aide de documens nouveaux, cette partie de notre histoire littéraire, et je me sens frappé une seconde fois. Le coup ne vient plus de Goettingue, mais d’Heidelberg. On m’accuse de haute trahison ; on m’accuse d’avoir excité au mépris du gouvernement constitutionnel, moi qui, à l’heure privilégiée des hautes trahisons et des attentats contre l’ordre social, le 26 avril 1848, dans la Gazette allemande, reprochais au gouvernement badois sa faiblesse à l’égard des ennemis de la société, et qui dénonçais cette faiblesse comme un manque de respect à la constitution. On prétend que j’ai fait œuvre de pamphlétaire, et si mon livre va être lu et interprété comme un