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M. Gervinus, avec ses amis du duché de Bade, est un des plus intrépides soldats du principe constitutionnel. Pourquoi faut-il qu’une fiévreuse impatience vienne compromettre tout ce qui semblait gagné? La question de l’unité allemande brouillera tout. Nommé au parlement de Francfort par un district de la Saxe prussienne, M. Gervinus n’y réussit que médiocrement. Avait-il désapprouvé au mois de juin le choix du vicaire de l’empire? était-il mécontent des premiers actes qui signalèrent ce nouveau pouvoir? trouvait-il que cette grande cause de l’unité de la patrie était mal servie par les hommes de son propre parti? Il est difficile d’expliquer autrement son brusque départ de l’assemblée. Il donne sa démission au mois d’août, et fait un voyage de plusieurs mois au moment où les intérêts les plus graves sont débattus à la tribune. M. Gervinus, si empressé dans ses écrits à glorifier la vie active, ne paraît guère en apprécier les conditions. Habitué aux principes absolus de la pensée, il ne sait pas combien de concessions et de tempéramens sont nécessaires à qui veut manier les hommes; il ne sait pas non plus, à ce qu’il semble, qu’on ne transforme pas un peuple sans tenir compte de son passé, et qu’en présence de tant de divisions séculaires, divisions politiques et religieuses, on ne décrète pas l’unité allemande par un article de loi, comme on construit dans sa chaire un système historique. Ces rêveries de M. Gervinus vont se donner surtout carrière dans la dernière période du parlement, lorsque, son voyage fini, il vient reprendre au mois de décembre son poste de journaliste. C’est l’heure où les députés du pays se préparent à élire un empereur d’Allemagne! Les bons esprits ne croient plus à cette création impossible. L’Autriche adresse à la Prusse des notes ironiques et hautaines, et déchire d’avance la constitution future. Irrité de ces résistances, le parti de l’unité s’obstine dans ses chimères, et, pour essayer de la faire triompher, il ne craint pas de tendre la main à la démagogie. On sait ce qui a suivi le vote de cette constitution impériale qui n’accorde à l’élu qu’un fantôme de pouvoir, l’élection du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, ses hésitations, son double jeu, son refus enfin, et pour conclusion dernière, après toute une série d’insurrections où le drapeau de l’unité allemande abrite les entreprises de l’anarchie, l’inévitable dissolution et l’agonie désespérée du parlement. Aux heures funestes qui virent commettre tant de fautes, M. Gervinus était dans son journal, comme M. Dahlmann à la tribune, le chef de cette politique de rêveurs.

Que faire après tant d’espérances et tant de mécomptes? Les plus fermes se sont découragés; M. Gervinus a repris vaillamment sa tâche. L’unité n’a pu être fondée par l’assemblée de Francfort; il reste au moins, comme fruit de ces longs débats, un sentiment plus vif de la communauté des intérêts et des droits dans la patrie