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théologien, poète, publiciste surtout, il a employé toutes les armes de l’esprit, éloquence, dialectique, ironie pénétrante et amère, pour aiguillonner les Allemands, et il n’a pas craint de les blesser au cœur en leur répétant sans cesse qu’ils n’étaient pas encore une nation. Si Goethe et Schiller sont plus grands que lui, c’est que, fidèles à sa pensée, ils ont créé dans le domaine de la poésie et de l’art cette unité nationale qu’appelait si ardemment l’auteur de la Dramaturgie de Hambourg. Le double portrait de Schiller et de Goethe est conçu avec profondeur et exécuté d’une main magistrale. J’ai dit que Lessing est le centre du tableau, j’ajoute que Schiller et Goethe l’illuminent de leurs rayons. Quel spectacle que cette communauté intellectuelle des deux poètes! Comme le peintre possède ces deux âmes, comme il les rapproche, les complète l’une par l’autre et en fait deux types immortels, proposés à l’admiration et à l’amour de l’Allemagne ! L’un semble plus froid, parce qu’il aspire à l’harmonie inaltérable de la nature; l’autre est le maître des cœurs, parce que toutes les généreuses passions ont inspiré son génie; « mais entre ces deux hommes, s’écrie M. Gervinus, qui donc serait assez hardi pour oser faire un choix? Malgré la grandeur de leur œuvre, tous deux furent incomplets et tous deux l’ont senti, grandeur nouvelle, et qui contient pour nous tous la plus féconde des leçons ! Il y a tel instant où Schiller semble tout prêt à s’approprier la sérénité de l’auteur d’Hermann et Dorothée, tandis que Goethe est tenté de revenir avec le poète de Wallenstein aux ardentes inspirations de sa jeunesse. C’est ainsi qu’il faut être, disait Goethe un jour, s’inclinant avec une humilité touchante devant l’idéalisme de son ami. Et nous aussi, ajoute M. Gervinus en terminant ce profond parallèle, et nous aussi, à l’exemple de nos maîtres, sachons confesser ce qui nous manque, et peut-être deviendrons-nous enfin ce que nous devons être. »

M. Gervinus aurait pu s’arrêter là. Son tableau était fini. Il a voulu compléter sa prédication en ajoutant un chapitre sur la poésie romantique, sur cette école des Tieck, des Schlegel, des Novalis, qui se produit aux dernières années du XVIIIe siècle, et qui fait succéder à la sérénité antique de Goethe, à l’idéalisme franc et naturel de Schiller, les subtilités et le mysticisme d’un moyen âge renouvelé. Cette école a fait du bien et du mal; elle a agrandi le champ de la critique, elle a fait apprécier les naïfs trésors des poésies populaires, elle a pénétré avec une intelligence lumineuse dans les littératures du XIIIe siècle; n’a-t-elle pas aussi énervé les esprits et propagé le goût d’une mélancolie malsaine? Si cela est, ne demandez pas à M. Gervinus de prononcer sur elle un jugement impartial; il dira les services rendus, mais il exagérera les fautes. Ce n’est pas